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  • Darfour

    Il est encore temps d’agir pour sauver les populations du Darfour

    « Seule une coalition énergique des démocraties occidentales

    permettra de libérer les populations du Soudan »

    Par Michaël Chetrit et Mahor Chiche * 

    Après huit années à la tête des Nation unies et à la veille de son départ, Kofi Annan a eu ces mots durs en évoquant le Darfour : « Soixante ans après la libération des camps de la mort nazis, trente ans après le Cambodge, la promesse du “ jamais plus” sonne creux » , avant de préciser, en visant le régime de Khartoum : « Ils pourront avoir à répondre collectivement et individuellement pour ce qui est en train de se passer au Darfour. »

    La régularité calculée des sévices commis par les milices Janjawids, issues des tribus musulmanes « arabes » , alliées du régime islamiste de Khartoum, à l’encontre des tribus musulmanes « africaines » contestataires de l’ouest du Soudan, a déjà provoqué une épuration ethnique qui a causé plus de 300 000 morts et 3 millions de déplacés.

    L’ONU a déjà voté six résolutions et qualifié les actes du régime soudanais de « crimes de guerre et de crimes contre l’humanité » . Cependant, les efforts des Nations unies pour obtenir l’accord de Khartoum pour le déploiement de 17 000 Casques bleus en remplacement des 7 000 soldats de l’Union africaine demeurent vains. La situation est bloquée, et l’ONU ne pourra intervenir, car la Russie et surtout la Chine, partenaires économiques privilégiés du Soudan, sont opposées à toute intervention militaire de l’ONU.

    Pour sortir la région de la crise, il faut comprendre la véritable nature du régime soudanais. Depuis dix-sept ans, la junte de Khartoum, issue d’un coup d’État en 1989 alors qu’elle ne recueillait que 10 % des voix aux élections sous la bannière des Frères musulmans, a attisé toutes les divisions, religieuses puis ethniques, pour écarter tour à tour les revendications des populations des régions périphériques délaissées du Soudan, qui réclamaient leur part des richesses du pays, et en particulier des dividendes de la manne pétrolière.

    Dès son accession au pouvoir, la dictature en poste à Khartoum a d’abord brandi le Djihad pour intensifier la guerre contre le Sud Soudan, animiste et chrétien, qui s’était révolté en 1983 suite à l’introduction de la charia et la suppression d’un statut d’autonomie obtenu par les armes en 1972 ; en jeu, les importants gisements de pétrole qui venaient d’être découverts dans le Sud. Cette première guerre causera près de 2 millions de morts en vingt ans.

    Un accord de Paix – factice – sera finalement signé en janvier 2005 avec le Sud-Soudan, censé organiser un partage des richesses et du pouvoir, et en 2010 un référendum sur l’autodétermination.

    Mais en 2003, les populations du Darfour qui avaient elles-mêmes été largement réquisitionnées dans la guerre contre le Sud, pressentant l’accord avantageux que Khartoum s’apprêtait à conclure sous la pression de la communauté internationale avec le Sud-Soudan, s’insurgèrent. Khartoum arma alors les nomades arabisés contre les cultivateurs noirs, en exploitant non seulement les dissensions pour le contrôle des terres – apparues entre nomades et cultivateurs suite aux terribles sécheresses des années 70 et 80 –, mais également le racisme antinoir.

    Le dénigrement dont sont victimes les ethnies africaines de la part des tribus arabisées est à replacer dans le contexte historique de la traite des Noirs transsaharienne menée  par les Arabes depuis le Xème siècle. Cette traite a réduit au moins huit millions d’Africains en esclavage.

    Surtout, ces clivages ethniques ont été dangereusement exacerbés par le régime libyen à partir du milieu des années 70, avec l’objectif de prendre le contrôle du Tchad et du Soudan. La Libye avait en effet choisi le Darfour comme base arrière de sa Légion islamique, milice issue des tribus nomades soudanaises et tchadiennes, en poursuivant un projet de « Grand Sahel Panarabe ». À partir de 1985, en échange du financement de la guerre contre le Sud-Soudan, Khartoum laissa même la Libye s’installer au Darfour pour lui permettre d’attaquer le Tchad.

    Pour arrêter l’épuration ethnique au Darfour, il n’y a plus d’autre voie que d’écarter le régime islamiste soudanais du pouvoir. Pour cela, il n’est ni envisageable de recourir à l’ONU, immobilisée par un double veto, ni pensable de continuer de se reposer sur la seule Union africaine, cantonnée au mieux à un rôle d’observateur. L’Union africaine, qui n’a jamais osé froisser Khartoum, ni condamner les massacres, est sous l’étroite dépendance des pays africains de la Ligue arabe.

    Pourtant, la convention internationale sur la prévention des crimes de génocide de 1948 engage nos démocraties à empêcher tout État d’infliger « délibérément à un groupe des conditions de vie calculées pour amener sa destruction en totalité ou en partie ».

    Aujourd’hui, le régime de Khartoum est honni de la très grande majorité de sa population, qu’il s’agisse des Africains ou des Arabes eux- mêmes. L’étroite classe dirigeante rebute à tel point qu’en juillet 2005, l’arrivée du leader sudiste John Garang au poste de vice premier ministre en application des accords de paix avec le Sud, avait été acclamée dans les rues de Khartoum. John Garang, mort dans un accident d’hélicoptère dans le mois qui a suivi son installation, luttait pour un nouveau Soudan, laïc, démocratique, et égalitaire.

    Il est temps de mettre fin à la dictature meurtrière de Khartoum. Il n’est possible de compter ni sur l’ONU, ni sur l’Union africaine. Seule une coalition énergique de nos démocraties permettra de libérer les populations du Soudan.

     

    * Respectivement secrétaire national et président de l’association Sauver le Darfour (SLD) www.sauverledarfour.org

     

    - « Il est encore temps d’agir pour sauver les populations du Darfour », Le Figaro, vendredi 22 décembre 2006.