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ETAT DE DROIT EN ÉTAT D'URGENCE La Justice administrative face au confinement Focus sur la question de la légalité des arrêtés de police pris par les maires en période d’état d’urgence sanitaire

La responsabilité du pouvoir politique dans la gestion de la crise du Covid-19 sera immanquablement posée après le déconfinement.

Commissions d’enquête, actions judiciaires, actions devant la Cour de Justice de la République, les nombreux dysfonctionnements constatés dans la gestion de la crise donneront lieu à débats et recours en justice. Au-delà de la responsabilité individuelle, la responsabilité de l’Etat et de ses services pourra elle aussi être recherchée.

La crise sanitaire du Covid-19 a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs recours juridictionnels « d’urgence » pour statuer sur le durcissement du confinement (CE, ord., 22 mars 2020, n° 439674, Syndicat Jeunes médecins, v. Dalloz actualité, 23 mars, art. J.-M. Pastor), l’administration d’hydroxychloroquine et de l’azithromycine, la fermeture des centres de rétention, l’ouverture des marchés, la surveillance par drones (TA Paris, Drones, 5 mai 2020). La question du port obligatoire du masque dans l’espace public a donné lieu à plusieurs débats et décisions.

Ces ordonnances rendues par les juridictions administratives, statuant en référé, ont des fondements juridiques différents, mais rappellent d’abord que l’Etat de droit perdure, même en période d’état d’urgence sanitaire, que la protection des libertés publiques reste essentielle, et que les mesures prises par le pouvoir politique ne doivent pas porter une atteinte disproportionnées à ces mêmes libertés au regard des exigences de protection de l’ordre public.

Paradoxalement, ces décisions laissent aussi, toutes, à penser que le Juge administratif demeure soucieux du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et se refuse en cette période d’état d’urgence sanitaire à intervenir préférant laisser le pouvoir politique juge de l’opportunité des mesures à adopter (comme le refus de systématiser le renforcement de mesures de dépistage en Ephad (CE, Dépistage systématique en EPHAD, 16 avril 2020)).

Le choix et la durée du confinement, ou encore l’administration d’hydroxychloroquine et de l’azithromycine relèvent d’analyses de médicales, épidémiologiques, et politiques. Les premières décisions du Conseil d’Etat et des tribunaux administratifs révèlent le refus de la juridiction administrative de s’immiscer dans le rôle du politique.

Certains avocats ont dénoncé la « dévitalisation » du Conseil d’Etat (William Bourdon et Vincent Brengarth Avocats au barreau de Paris dans Le Monde, 12 avril 2020). « Ces rejets en masse de [recours] fragilisent gravement l’effectivité du contrôle juridictionnel opéré par le Conseil d’Etat et remettent en cause son impartialité ».

Olivier Cousi, Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris a dénoncé l’absence de décisions critiques de l’action du gouvernement, « du fait de cette situation de crise, on a le sentiment que le Conseil d’Etat s’interdit de critiquer le gouvernement et d’apporter un contrôle sur la légalité de ses actions. » (Libération, 29 avril 2020, Itw par Charles Delouche).

Les juridictions administratives territoriales, et en particulier le juge administratif saisi en matière de référé-liberté, semble également rechigner à empiéter sur l’action du pouvoir politique.

L’exemple de la question de la légalité des arrêtés de police pris par les maires durant l’état d’urgence sanitaire illustre parfaitement les enjeux actuels de la Justice administrative face aux mesures restrictives de libertés en période de confinement.

I - Sans risque sanitaire local avéré, le maire ne peut pas imposer le port obligatoire de Masques

Face à la croissance du nombre de décès et de personnes contaminées par le COVID19, plusieurs maires (Sceaux et Royan) ont pris des arrêtés municipaux aux fins de rendre le port d'un dispositif buccal et nasal obligatoire pour toute sortie dans leurs communes au motif de lutter contre la propagation de la pandémie de COVID19.

Après l’adoption par plusieurs maires d’arrêtés « couvre-feux » interdisant les déplacements nocturnes, certains d’entre eux ont voulu faire adopter le modèle « asiatique » de protection des personnes fragiles et de leurs populations par le port du masque.

Le 6 avril 2020, le maire de Sceaux garant de la tranquillité, sécurité, et salubrité publiques sur le territoire de sa Commune (CE, Commune de Morsang-sur-Orge, 27 octobre 1995) voulait mieux protéger ses concitoyens au motif que le port du masque dans l’espace public est selon de nombreux épidémiologistes, l’avis du 3 avril 2020 de l’Académie de médecine, et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) une mesure de protection efficace (venant en complément des gestes barrières).

En vertu de l'article L.2212-1 du Code général des collectivités territoriales, le maire dispose sur sa commune (hormis pour les Villes de Paris, Lyon et Marseille) d’un pouvoir de police l’autorisant à prendre des mesures permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.

« Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale (…)».

Il peut aggraver, rendre plus contraignantes, les mesures de police d’ordre générales. (CE, Commune de Neris les Bains, 1902).

De jurisprudence constante, une autorité de police locale peut toujours aggraver une mesure de police édictée par une autorité administrative nationale si des circonstances locales le justifient (CE, Lutétia et syndicat français des producteurs et Exportateurs de films, 18 décembre 1959, n°36385 36428, publié au rec., et CE, 27 juillet 2015, 367484, rec.) Le maire peut adopter, en présence d’un risque de troubles à l’ordre public, pour sa commune des mesures plus contraignantes que celles prises par les « autorités administratives nationales ou départementales  » (Préfet, Ministre, Premier ministre, Président).

Cet arrêté n°2020-167 entra en vigueur le 8 avril obligeait les habitants de plus de dix ans à se couvrir le nez et le visage avant de sortir sur la voie publique. Les scéens devaient sortir « avec un dispositif de protection nasale et buccale », sous peine d'une amende de 38 euros. 

Face à l’entrave, à la liberté d’aller et de venir et de la liberté personnelle, manifeste que constitue cette décision et de surcroit l’impossibilité matérielle pour le maire de Sceaux d’équiper tous ses habitants de masques, la Ligue des droits de l’homme (LDH) déposa un Référé-Liberté contre le dit arrêté.

Aux termes de l’article L. 5212 du Code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

La décision du juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 9 avril a suspendu l’arrêté du maire de Sceaux qui voulait rendre obligatoire le port du masque et suspendu son exécution.

La recevabilité de l’action - intérêt à agir, condition d’urgence, et celles de mise en jeu de libertés fondamentales - apparaissait manifeste et ne justifie pas un développement particulier.

Dans sa décision du 22 mars 2020, le Conseil d’Etat statuant sur la demande de confinement total (CE, Syndicat Jeunes Médecins, N° 439674, 22 mars 2020) a rappelé qu’il appartient à l’Etat de faire face à l’épidémie y compris par l’adoption de mesures de police.

« Dans cette situation, il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent ».  

Le Juge des référés du Tribunal administratif de Cergy Pontoise a repris à son compte cette analyse en réaffirmant qu’il appartient d’abord à l’Etat d’exercer ses pouvoirs de police « en tous lieux » et de prendre toute mesure de nature à prévenir ou limiter les effets de cette épidémie y compris restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules.

En même temps, le Juge des référés a affirmé que même en période d’Etat d’urgence sanitaire, le maire peut faire usage des pouvoirs de police dont il dispose.

Pour rappel, la liberté de circulation, la liberté d’aller et venir, est une liberté fondamentale (CE, Deperthes, 2001) Principe à valeur constitutionnelle ; elle est aussi protégée par les Traités européens Historiquement, « la rue n’est pas simplement une voie de circulation, mais aussi le siège d’une voie sociale » (CE, Vedel, 1995) ; aussi les mesures de restriction de police doivent constituer « l’exception ».

Le pouvoir de police détenu par le Premier ministre, le Ministre de la Santé ou encore le Préfet ne fait pas obstacle à ce que, le maire adopte pour sa commune des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, pour autant que les circonstances locales particulières le justifient notamment au regard de la menace « locale » de l’épidémie.

Dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, issu de la Loi du23 mars 2020, fonde les pouvoirs du Ministre de la santé et le cas échéant du Préfet en la matière.

« En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire.

Le ministre peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d'application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures font immédiatement l'objet d'une information du procureur de la République.

Le représentant de l'Etat dans le département et les personnes placées sous son autorité sont tenus de préserver la confidentialité des données recueillies à l'égard des tiers.

Le représentant de l'Etat rend compte au ministre chargé de la santé des actions entreprises et des résultats obtenus en application du présent article ».

Le juge en a déduit que,

« Dans cette situation, il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie, dès lors que, s’agissant en particulier du maire, ni les pouvoirs de police que l’Etat peut exercer en tous lieux dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, pour restreindre les déplacements des personnes, ni l’habilitation donnée au préfet dans le département d’adopter des mesures plus restrictives en la matière, ne font obstacle à ce que, pour prévenir des troubles à l’ordre public sur le territoire communal, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales pour aménager les conditions de circulation des personnes dans le cadre des exceptions au principe d’interdiction prévues par les dispositions précitées. Ces mesures doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent ».

En matière de mesures de police, les circonstances locales sont un critère essentiel de la légalité de la décision administrative (CE, Syndicat Jeunes Médecins, N° 439674, 22 mars 2020) et expliquent la censure de l’arrêté.

Logiquement, le juge administratif censure l’arrêté en expliquant qu’il ajoute une « condition supplémentaire aux restrictions déjà importantes à la liberté d’aller et venir édictées par les autorités de police nationale, et qu’il crée une restriction nouvelle à la liberté individuelle porte une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales » (liberté fondamentale d'aller et de venir et à la liberté personnelle des personnes concernées).

In concreto, le Juge des référés a analysé la situation locale de Sceaux et constaté qu’aucune circonstance locale particulière ne justifiait pas cette mesure.

Le juge des référés ajoute que rien ne permet de retenir que la protection des personnes âgées ne pouvait pas être assurée par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales reprenant ici la logique de la proportionnalité nécessaire de la mesure administrative (CE, Benjamin, 1933).

« En se prévalant de telles considérations générales, dépourvues de tout retentissement local, le maire de Sceaux ne justifie pas que des risques sanitaires sont encourus, sur le territoire communal, du fait de l'absence de port d'un masque lors des déplacements des habitants ».

La seule menace générale d’épidémie de COVID19 et sauvegarde de la santé publique ne justifie pas la nécessité de mesures de police plus restrictives que celles déjà édictées au niveau national. Le Ministre de l’Intérieur s’était d’ailleurs prononcé publiquement contre l’adoption de tels arrêtés.

Le juge administratif de Cergy Pontoise a ainsi confirmé la compétence du maire en période d’Etat d’urgence sanitaire, mais rappelé l’indispensable corrélation avec les circonstances locales, et la nécessaire proportionnalité des mesures de police édictées.

II - Une autorité de police locale peut toujours aggraver une mesure de police prise par une autre autorité de police administrative générale

A Royan, c’est le Préfet de Charente-Maritime qui s’est opposé à l’arrêté du maire au motif qu’en présence des dispositions sur l’Etat d’urgence sanitaire le maire serait de facto dessaisi de son pouvoir de police générale.

Pour le Préfet, « l’exigence du port du masque comme condition de déplacement sur la voie publique ou de rassemblement peut être regardée comme une aggravation des mesures restreignant les déplacements, rassemblements ou accès aux établissements demeurés ouverts ».

Le Préfet s’est fondé sur le texte concernant les mesures de réglementation des déplacements et des rassemblements sur la voie publique entrant dans le champ de la police spéciale (instaurée par les articles L. 3131¬15 et suivants du CSP et sont prévues par les articles 3, 7 et 8 du décret du 23 mars 2020) qui habilite les préfets à restreindre les conditions fixées en ces matières au regard des circonstances locales.

Le maire de Royan a renoncé et pris un nouvel arrêté pour seulement encourager un tel port. Pourtant, comme exposé supra, une autorité de police inférieure peut toujours aggraver une mesure de police

En se basant sur la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat et lisant la décision du Juge administratif de Cergy Pontoise il apparait que le Préfet de Royan a outrepassé ses prérogatives et pouvoirs de surveillance hiérarchique qui lui appartiennent, la seule existence d’une police spéciale ne saurait retirer au maire ses pouvoirs de police générale.

« Aucune disposition n'interdit au maire d'une commune de prendre sur le même objet et pour sa commune, par des motifs propres à cette localité, des mesures plus rigoureuses ». Quand une police spéciale est intervenue, une autorité de police générale peut aggraver la mesure. (CE, Commune de Neris les Bains, 1902, N° 04749, publié au recueil Lebon). 

Lors de son allocution du 13 avril 2020, le Président de la République Emmanuel MACRON a appelé les maires à ne pas user (abuser) de ce pouvoir en ces termes :

« Durant les quatre semaines à venir, les règles prévues par le gouvernement devront continuer d’être respectées. Elles sont en train de montrer leur efficacité et ne doivent être ni renforcées ni allégées, mais pleinement appliquées. Je demande à tous nos élus, dont je sais l’importance dans cette période, je demande à tous nos élus, comme la République le prévoit en cette matière, d’aider à ce que ces règles soient les mêmes partout sur notre sol. Des couvre-feux ont été décidés là où c’était utile mais il ne faut pas rajouter des interdits dans la journée ».

Le Président a ainsi regretté les mesures d’aggravation prises par les maires (les encourageant à ne pas durcir les dispositifs étatiques) et mis ainsi en avant deux exigences l’égalité territoriale et veiller à ne pas durcir les conditions de vie (déjà difficiles) en confinement. Par ces propos, il en a également de facto confirmé leur légalité.

Le Conseil d’Etat intervint quelques jours plus tard avec une approche visant une difficile synthèse.

III - Dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire, seule l’existence de conditions locales propres et la non entrave des mesures étatiques prises peuvent rendre légales l’aggravation de mesures de police d’un maire

Pour le Conseil d’Etat, face à une épidémie, il appartient d’abord aux autorités publiques de prendre des mesures « afin de sauvegarder la santé de la population ».

Saisi en appel par le maire de Sceaux, le Conseil d’Etat a confirmé que « le maire de Sceaux ne peut prendre une telle décision, en l’absence de circonstances locales particulières ». Mais, il a ajouté un élément d’analyse en considérant que la mesure locale entravait « également à la cohérence des mesures nationales et des messages de prévention ».

Le Conseil d’Etat a d’abord rappelé l’étendue des pouvoirs de police du maire :

« Les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales, cités au point 4, autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ».

Il fait comprendre que malgré l’Etat d’urgence sanitaire (et l’existence de police spéciale) les « couvre-feux » sont des mesures de police qu’un maire peut prendre dans la période en cas de risque de troubles à l’ordre public spécifique à sa commune (TA Nice, ord., 22 avr. 2020, n° 2001782). A noter, que dans le cas d’espèce, la seule condition de « circonstances locales » suffit au juge (il ne mentionne pas la réunion de la double condition « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but pas les autorités compétentes de l’État »).

En revanche, le Conseil d’Etat limite le pouvoir de police générale du maire en matière de mesures de lutte contre l’épidémie au motif que le législateur a instauré dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire une police spéciale.

Le Conseil d’Etat subordonne la prise d’initiatives locales en matière sanitaires à l’existence de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».

Cet arrêt appelle plusieurs remarques :

-La tutelle des communes est finie depuis la Loi du 2 mars 1982 ; la France est certes un Etat unitaire, mais la libre administration des communes justifie que les maires puissent compléter l’action de l’Etat y compris lorsqu’une police spéciale existe. Ce principe du pouvoir de police du maire, y compris en période d’Etat d’urgence sanitaire, est réaffirmé.

-Le Conseil d’Etat s’inscrit en réalité dans sa jurisprudence traditionnelle (CE, Commune de Neris les Bains, 1902, N° 04749, publié au recueil Lebon) qui autorise l’aggravation d’une mesure de police spéciale par le maire via son pouvoir de police générale à condition que les circonstances locales le justifient (« par des motifs propres à cette localité »). 

En l’espèce, le maire de Sceaux n’a à l’évidence pas justifié de manière probante (la seule démographie de la commune et la concentration des commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne constituent pas des raisons impérieuses liées à des circonstances locales) le caractère nécessaire de la mesure prise.

- Pour le Conseil d’Etat la gestion de la pénurie de masques par l’Etat, la nécessité de préserver les masques chirurgicaux et FFP2 pour les personnels soignants et autres acteurs le nécessitant justifie en l’état l’absence de généralisation du port du masque. C’est la pénurie qui fonde le principe d’absence de généralisation et non le droit à la santé ce qui est, compréhensible (il faut privilégier la protection des soignants pour éviter que le système sanitaire s’effondre), mais regrettable.

En outre, pour le Conseil d’Etat, en laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté du maire de Sceaux « est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par les autorités sanitaires ». Le masque seul ne fait pas une politique de santé, il faut respecter l’ensemble des gestes barrières (bien porter le masque, se laver les mains régulièrement, et respecter la distanciation physique).

Les récentes décisions de la juridiction administrative en temps d’urgence sanitaire donnent par ailleurs l’impression d’une surprotection des mesures gouvernementales.

Cette attitude s’explique sans doute par l’hypermédiatisation des décisions de la juridiction administrative qui la met sous forte pression et par le principe de réalité.

Sous le regard des chaines continues, la Justice ne peut pas être sereine. En cette période exceptionnelle, très compliquée, obliger l’Etat à imposer un confinement strict, des masques pour tous, ou telle ou telle mesure (confiner une population est complexe, approvisionner en matériel médicaux semble impossible…) compliquerait l’action gouvernementale.

Les juridictions administratives sont donc rétives à l’idée de prendre la place des décideurs. Tout le monde à son idée de la bonne sortie de crise mais seul l’Etat est en capacité de prendre des mesures identiques pour tout le pays.

Dans son allocution du 19 avril 2020, le Premier ministre Edouard PHILIPPE a jugé probable qu’à partir du 11 mai le port du masque sera "obligatoire" dans certains lieux comme les "transports en commun". Se faisant, il a conforté les Médecins et Elu.e.s le préconisant. Le Conseil scientifique vient également de préconiser le port généralisé d’un masque dans les lieux publics.

Le maire de Mandelieu-la-Napoule. Sébastien LEROY a affirmé ne pas avoir d'ordre à recevoir du Ministre de l’Intérieur. "Un maire doit prendre toutes les mesures qu'il estime nécessaires, pour protéger sa population", il prévoit donc une généralisation de la distribution du masque et sans doute un arrêté le rendant obligatoire dans l’espace public.

Il fait fi de la récente position du Conseil d’Etat, mais sa Commune serait en passe de pouvoir fournir à chaque habitant un masque et il motivera sans aucun doute l’existence de circonstances locales propres et la complémentarité de cette mesure de celles prises par l’Etat ; dès lors la décision de la juridiction administrative pourrait logiquement évoluer.

On devine que les décisions du Conseil d’Etat ou du Juge des référés sont des positions de circonstances prises à la date des recours présentés, mais qu’après le déconfinement où la sortie de la période d’Etat d’urgence sanitaire la doctrine de ces juridictions pourrait évoluer.

En conclusion

Entraver la liberté d’aller et venir en contraignant tout le monde au port du masque est une obligation générale et absolue de facto non proportionnée (CE, Ass., Benjamin, 19 mai 1933,).

Dans un contexte marqué par une réduction importante des libertés résultant des mesures prises pour lutter contre l’expansion de la pandémie du virus COVID-19, ces mesures locales de protection supplémentaires ne sont pas considérées comme souhaitables par le pouvoir exécutif.

Le pouvoir politique national met en exergue leur inutilité, le danger à exiger encore plus d’efforts des citoyens, et le risque de créer une inégalité territoriale entre les départements et villes du pays (à noter que les couvre-feux sont eux mieux compris et tolérés par l’exécutif). De plus, in concreto, le maire est (pour l’heure) incapable de fournir le nombre de masques qu’il aurait fallu pour ne pas entraver de facto la dite circulation.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’il appartient d’abord à l’Etat face à une épidémie telle que celle « que connaît aujourd’hui la France, de prendre, afin de sauvegarder la santé de la population, toute mesure de nature à prévenir ou limiter les effets de cette épidémie ». Parmi ces mesures, figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes.

Le Conseil d’Etat préfère considérer que l’édiction de mesures de police a été réservée par les textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire aux autorités nationales et aux préfets de département, et que la mesure locale entraverait « la cohérence des mesures nationales et des messages de prévention ».

Les récentes jurisprudences spéciales COVID-19 des juridictions administratives semble confirmer un état d’esprit : ne pas vouloir aller à l’encontre des mesures gouvernementales, ni alourdir les mesures à adopter. On ne veut pas ajouter de difficultés à la crise.

La séparation des pouvoirs est souvent en débats, la question du pouvoir des juges également, en cette période exceptionnelle et de manifestes failles et carences de l’Etat ils auraient pu avoir la tentation de prendre « les bonnes décisions » en lieu et place du gouvernement élu ou de l’autorité locale, ils ne l’ont (fort heureusement) pas fait.

On devine et ressent de manière sous-jacente que l’Etat d’urgence sanitaire est pour l’heure le moyen de légitimer toutes les actions ou inactions du gouvernement ; les juridictions administratives restant ainsi fidèles à la théorie des Actes de gouvernement « intouchables » et ne parviennent pas à assumer une totale indépendance (CE Ass, Rubin de Servin, 2 mars 1962).

Espérons que la fin de la parenthèse de l’Etat d‘urgence sanitaire mettra fin au pragmatisme et hésitations serviles de la juridiction administrative.

On constate également que les atteintes au droit au respect de la santé méritant une sanction semblent encore rester à définir.

Finalement, Etat d’urgence sanitaire ou non, le droit du citoyen à ne pas subir de contraintes excessives reste primordial. A n’en pas douter le déconfinement et le port du masque et le futur projet de Tracking donneront lieu, lui aussi, à un abondant contentieux.

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Via Atlantico, 9 mai 2020 https://www.atlantico.fr/decryptage/3589447/la-justice-administrative-face-au-confinement-mahor-chiche

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