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REVUE DE PRESSE - Page 16

  • De très mauvais bonus

    MAHOR CHICHE EST AVOCAT À LA COUR. JEAN-JACQUES OHANA, COFONDATEUR DE RISKELIA, EST EXPERT EN GESTION DES RISQUES FINANCIERS.

    En pleine crise économique, la décision de BNP Paribas de provisionner 1 milliard d'euros sur le premier semestre 2009 pour rétribuer ses traders fait scandale. Certes, cette décision est a priori conforme aux modes de rémunération préconisés par le G20 qui impose notamment un lien étroit entre risques et rémunérations, un contrôle des conseils d'administration ainsi qu'un versement étalé dans le temps (ce qui sera le cas pour BNP Paribas).

    Pourtant, les pouvoirs publics, restaurés dans leur rôle d'agent régulateur, s'émeuvent et convoquent réunion sur réunion pour étudier la conformité de ces modes de rémunérations avec les règles du G20 de Londres d'avril 2009. Faut-il interdire les bonus ? Les encadrer ? Ou laisser employeurs et salariés négocier librement la part qui revient à chacun ?

    La question du droit au bonus n'est pas une question éthique, elle concerne la stabilité du système financier international. Cette question des « bad bonus » dépasse largement nos frontières. Outre-Atlantique, Goldman Sachs annonçait le mois dernier des bénéfices record et provisionnait plus de 11 milliards de dollars en prévision des bonus pour ses salariés sur l'année 2010, une somme insolente au vu de la crise économique que nous traversons.

    D'où proviennent ces bénéfices ? Alors que la récession économique bat son plein et apporte son lot de liquidations de sociétés, de défauts de paiement et de plans de licenciement, le montant généré par les banques interpelle. Les énormes profits enregistrés par les établissements bancaires (la BNP a réalisé 1,6 milliard d'euros de bénéfice sur le seul deuxième trimestre 2009) viennent de la banque d'investissement.

    Le retour de la confiance sur les marchés a été favorisé par les garanties successives des Etats et la politique conciliante des banques centrales. La France a concouru au sauvetage de Dexia étranglé par un assèchement du financement interbancaire. L'Angleterre est intervenue pour sauver la banque hypothécaire Northern Rock puis ses banques historiques RBS et Lloyds. Les Etats-Unis ont quant à eux dû sauver du précipice le géant AIG et ont négocié le sauvetage de plusieurs banques d'investissement, notamment Bear Stearns et Merrill Lynch. Les banques centrales ont participé à cet effort de sauvetage généralisé fixant des taux directeurs à des niveaux historiquement bas.

    Ces actions positives ont permis de sauver le système financier mondial tout en permettant paradoxalement aux traders de bénéficier de nouvelles conditions de financement exceptionnelles. Toute la machine financière, qui était à l'arrêt, est repartie à pleine puissance : les taux d'intérêt sur le marché monétaire sont à des niveaux historiquement bas, les conditions de crédit se sont normalisées, les opérations de financement sur la dette et les actions sont reparties. Les opérateurs ont tiré parti de cette conjoncture de marché idéale au printemps, bénéficiant de la normalisation des marchés financiers, les uns sur les produits dérivés complexes, les autres sur les marchés du crédit, les devises ou les matières premières comme le pétrole, le cuivre ou le sucre. Toutes ces opérations à succès ont des apparences différentes mais ont été toutes portées par un seul et unique facteur : la remise en ordre des marchés financiers.

    Quel est le résultat de ces sauvetages pour les citoyens ? Aujourd'hui, les dettes publiques des pays développés sont à des niveaux record mettant en péril la situation des générations futures. Les taux de financement interbancaire, excessivement bas, sont en passe de provoquer un contre-choc inflationniste néfaste au pouvoir d'achat. Les Etats et les institutions financières ont donc financé les bonnes affaires des traders.

    Les excès passés des banquiers et leur absence de discernement sur les risques de leurs opérations ont contribué à faire plonger la finance mondiale. Ces mêmes banquiers ont durant plusieurs mois refusé de fournir de la liquidité au marché, accentuant encore plus le manque de confiance des investisseurs. Il y a à peine six mois, ils refusaient de croire en une reprise et vendaient les marchés à découvert. Les banques ont la fâcheuse tendance de se préoccuper des risques dans la tourmente et de les ignorer dans les périodes fastes. Leurs opérations moutonnières font courir à la finance mondiale un réel risque systémique du fait des exagérations successives qu'elles provoquent.

    Depuis 2007, le système financier a été successivement atteint par la crise des « subprimes », une flambée des matières premières alimentaires, celle du pétrole, puis l'effondrement des marchés boursiers, et enfin le retour en grâce de ces derniers. Quelle sera la prochaine crise ? Les nouvelles vulnérabilités du système pointent déjà à l'horizon : nouvelle flambée des matières premières, nouveaux excès boursiers ou encore effondrement du dollar. Une chose est sûre, ces crises ne seront pas plaisantes et fragiliseront nos économies.

    La question de la juste rémunération des traders concerne l'ensemble des citoyens car ils sont des vecteurs de risques pour l'ensemble des économies mondialisées.

    En fait, la société dans son ensemble, les politiques, les institutions de régulation financière, les contribuables aussi, sont les garants et les assureurs en dernier recours du système financier ; les risques extrêmes de faillite du système bancaire nous incombent en définitive. Notre relation avec le système bancaire mondial est entière. Nous devons prospérer ou mourir avec lui. Si certains en doutaient, la démonstration par l'absurde en a été produite par la faillite de Lehman Brothers et l'effondrement de la finance mondiale qui s'en est suivie.

    Il est urgent de contractualiser cette relation avec les institutions bancaires. Cette nécessaire régulation peut se produire par deux leviers : une politique fiscale harmonisée taxant fortement les profits de trading des banques ou une régulation imposant un provisionnement beaucoup plus strict des risques liés aux opérations de trading. Ces règles de bien-vivre ensemble permettraient de favoriser le développement des activités de prêt et de financement de l'économie au détriment des activités de trading. C'est au prochain G20 de Pittsburghde se saisir de ces questions d'enjeu international avant que la finance mondiale ne devienne un casino géant financé par le citoyen mais à ses propres dépens.

  • Une odeur de souffre plane sur le 19e arrondissement de Paris

    Par Yoni Sarfati
    pour Guysen International News

    Les agressions antisémites commises dans le dix-neuvième arrondissement de Paris contre la communauté juive ne semblent pas s’estomper. Deux mois à peine après l’agression du jeune Rudy âgé de 17 ans qui avait plongé la communauté juive dans la perplexité et l’anxiété, une nouvelle agression ce samedi vient s’ajouter à ce triste palmarès.
    Trois jeunes juifs qui portaient la kippa ont de nouveau été pris pour cible dans la même rue où s’était déroulée l’agression précédente (Rue Petit).

    L’un des jeunes regagnait sa maison après Shabbat (jour de repos hebdomadaire observé par les juifs pratiquants) lorsqu’il a reçu un caillou sur la tête. «Il s'est alors retourné, a demandé aux cinq jeunes en face quel était le problème», raconte son père. C’est alors que le caïd de la bande d’agresseurs a proposé au jeune juif de descendre « pour aller se frapper dans le parking ».
    Lorsque le jeune juif a décliné l’invitation il a alors reçu des coups, selon le père de la victime qui habite dans le quartier avec ses trois enfants depuis une douzaine d’années. Ses deux amis se sont également retrouvés à terre avant d’être roués de coup
    Deux des victimes ont eu le nez fracturé et des contusions ont été constatées sur le corps d’une des victimes. Les trois adolescents ont par la suite été hospitalisés. Des témoins de la scène ont souligné « que cela aurait pu être bien plus grave si des passants n’étaient pas intervenus ».

    Norbert.B a déclaré à la presse que la bande de voyous n’avait proféré « aucune insulte antisémite » mais a ajouté « qu’ils ne pouvaient ignorer la judaïté de leurs victimes ».
    Une enquête a été diligentée avant même que les trois agressés ne déposent plainte au commissariat du quartier. Dès samedi soir le directeur de cabinet du préfet de police de Paris Christian Lambert s’est rendu sur les lieux de l’agression puis a rencontré les trois adolescents hospitalisés.
    Le 19ième arrondissement abrite une importante communauté juive qui côtoie également une forte minorité musulmane. Les tensions entre les communautés sont légion. Les affrontements entre les deux communautés avaient connu une recrudescence dans les années 2000 durant la seconde Intifada et la police était souvent intervenue dans le parc des Buttes-Chaumont pour disperser les heurts qui se produisaient essentiellement le samedi alors que la jeunesse juive a l’habitude de flâner sur les pelouses du parc.
    Dans le cas d’espèce le caractère antisémite n’a pas encore été retenu à l’encontre de la bande d’agresseurs mais si celui-ci devait être officiellement établi, les peines encourues devraient s’alourdir et la justice pourrait requérir trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amendes contre la bande de voyous.
    Néanmoins, pour le président du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France) Richard Prasquier le caractère antisémite de l’agression ne fait aucun doute. Ce dernier s’est en effet déclaré « certain » de la nature de l’évènement.
    Parmi, les trois garçons, deux sont lycéens en première et terminale S et le troisième bientôt à la faculté d'Assas mènent, selon Rafael Haddad de l'Union des étudiants juifs de France, une vie rangée, entre l'école juive, la synagogue et la maison.
    Du côté des pouvoirs publics, la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie a condamné « avec la plus grande fermeté l’agression antisémite perpétrée contre trois jeunes qui se rendaient à la synagogue» tandis que le maire socialiste de la capitale Bertrand Delanoë a exprimé son désir « de voir les auteurs de cette attaque antisémite qui se situe aux antipodes des valeurs défendues par Paris » appréhendés dans les meilleurs délais.


    Le climat qui règne aujourd’hui dans le quartier semble de plus en plus délétère à en croire les déclarations de certains politiques.
    Le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis trouve que «ça commence à faire beaucoup» et qu’il faut «prendre des mesures pour que cette tension cesse» dans le quartier.
    Le sénateur-maire du 19ième Roger Madec condamne «cet acte de violence inqualifiable» mais s’en remet «à la police et à la justice pour arrêter et punir les auteurs de cette agression», qu’il croit tout de même«antisémite, puisque ces jeunes portaient une kippa».
    Enfin, Mahor Chiche élu du XIXème arrondissement et membre de SOS Racisme expliquait que « le samedi, c’était la guerre des bancs entre des jeunes juifs et des gars des cités environnantes ».

  • Après l'agression à Paris 19e

    Après l'agression à Paris 19e
    Les bandes à part de la rue Petit
    Tous les samedis après-midi, autour des Buttes-Chaumont, c'est la baston entre «feujs» et «Noirs». Le 21 juin, Rudy Haddad, 17 ans, est resté au sol

     

    Bleu, blanc, le drapeau israélien n'est resté accroché qu'une petite heure sur la passerelle qui enjambe la rue Petit, dans le 19e arrondissement de Paris. Mais la foule noire et blanche d'écoliers à kippa et d'écolières en jupe mi-mollet qui s'éparpillait à la sortie de l'école Beth Hannah - le plus grand centre scolaire juif d'Europe - s'est tout de suite massée sous l'étendard, presque stupéfaite par son audace. Sur le trottoir, les mamans laissent tomber le goûter et tentent de rappeler les petits : «Rentrez !» Deux jours après la longue après-midi d'échauffourées qui s'est terminée par le passage à tabac de Rudy Haddad, jeune «feuj» de 17 ans venu de Pantin, chacun surveille ses troupes, rue Petit.
    La rue Petit, c'est la «rue des Rosiers du 19e», sourit un commerçant. Une artère étroite et très longue qui fend un arrondissement de 200 000 habitants qui a beaucoup changé depuis une quinzaine d'années. C'est dans les années 1990, en effet, qu'une forte communauté juive, en grande partie loubavitch, s'y est installée. Venus de Sarcelles, d'Epinay-sur-Seine, de Gagny, ces banlieusards gagnent Paris «parce que victimes d'antisémitisme», raconte Mahor Chiche, responsable local de SOS-Racisme. S'y ajoutent des juifs du Sentier ou du Marais dépassés par la hausse des loyers et qui choisissent eux aussi ce quartier populaire.
    Mais la rue Petit a encore changé il y a cinq ans, lorsque nombre de ses taudis, où «il n'était pas rare de voir les familles maliennes faire la cuisine dans une marmite dans la cour», ont été réhabilités. Dans le jargon des associations, on parle de «gentrification». Dès qu'elles s'enrichissent, les familles passent le canal et remontent la rue Petit. Celles qui s'appauvrissent, au contraire, sont repoussées. «Regarde-les avec leurs Hummer !», persiflent deux jeunes blacks, ce mardi, en lorgnant les voitures familiales qui patientent à la sortie de l'école Beth Hannah. «Dans les permanences logement, on trouve les mêmes familles nombreuses et pauvres des deux côtés», rectifie Mao Peninou, conseiller de Paris et délégué aux questions de sécurité et de prévention à la mairie du 19e. Et souvent, dès 15 ans, les mêmes problèmes de «déscolarisation».

    Les 80 communautés de l'arrondissement ne se déclinent pas seulement au fil des cantines - «60% de demandes de repas différenciés, contre 15% il y a trois ans», note Mahor Chiche - ou des commerces.

    On est d'une rue, d'un coin ou même d'un trottoir. On vient de «Curial» ou de «Laumière». Ici, entre groupes de gamins, on dit «les Noirs», «les Juifs», les «Arabes», et on oublie les «Chinois, tellement ils sont calmes», explique un «Arabe» - c'est à Belleville qu'ils se battent avec les «Renois» (noirs). En revanche, entre l'avenue Jean-Jaurès et la mairie, on dit que «les juifs de la place des Fêtes sont très radicaux». Premier paradoxe : Ruddy a été retrouvé devant le square Petit fraîchement inauguré, juste en face de l'association de quartier «J2P» Jaurès, Pantin, Petit), censée calmer le jeu. «Si c'est si sensible, cette histoire, c'est aussi que tout le monde ici se dit qu'il s'est fait tabasser chez lui, dans sa rue», ajoute un riverain.
    Sa rue. Mon trottoir, mon banc, mon carré d'herbe verte pour bronzer ou draguer. Dans ce périmètre qui s'étend vers le nord du vaste parc des Buttes-Chaumont, tout est histoire de territoire. Le samedi après-midi, en attendant la fin du shabbat, à 17 heures, ils sont souvent plus d'une centaine, au pied du parc des Buttes-Chaumont, devant le restaurant indien l'Eléphant rouge, à l'angle de la rue de Crimée et de la rue Manin, là où les mamans loubavitch emmènent leurs enfants au manège. Dans ce coin, on aime «jouer à «West Side Story»», dit le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis. Sur la carte d'état-major du 19e, chacun connaît sa position au mètre près. 

    «Tout est question de rapport de force. Le samedi, il est maximal», explique-t-on au commissariat du 19e. Ce jour-là, les juifs sont plus nombreux, et il suffit qu'un groupe de Noirs ou de Maghrébins passe sur le trottoir pour que ça s'emballe. Il y a un an, on a «sauvé» trois ou quatre Noirs, le terme n'est pas trop fort. Les autres jours, ça peut aussi bien être l'inverse, mais c'est plus calme.» Parfois, des hommes à chapeau et à nattes viennent tendre une kippa et tenter de rameuter les gamins à la synagogue, sans succès garanti. On préfère rester là, avec sa casquette de base-ball en guise de calotte, à fumer en cachette et à tuer le temps.
    Un oeil noir, un mot, un geste déplacé, et on s'échauffe. Une insulte aussi - «moi je vais l'enculer contre sa mère», a cru entendre «Greg» l'après-midi du drame, et c'est parti, on se course dans les rues adjacentes. Un feu vert que l'on fait manquer à une voiture en traînassant devant, et on repart. Un peu plus grave, un portable chipé, une kippa qu'on piétine, une chaîne en or qu'on arrache. Et on se déchaîne. Comme ce mardi 3 juin, où des ados se sont mis à démonter l'échafaudage de la mairie et ont «coursé avec les tubes des petits mômes noirs entre l'avenue Laumière et la rue du Rhin», raconte une conseillère municipale. «C'est pas la guerre des boutons, les mômes savent se battre !», confirme Joël Cacciaguerra, administrateur de J2P «Ce sont parfois des guerriers. Ils n'ont pas besoin de briller à l'école, ils ont besoin de briller dans la rue», ajoute Ludovic, autre habitant du quartier.
    «Ils ne sont pas forcément dans les trafics, contrairement aux bandes des cités», modère- t-on au commissariat, où on préfère parler de «groupes». Peu, en tout cas, portent plainte. Règne de la rumeur qui dévale la rue d'Hautpoul ou l'allée Darius-Milhaud, puis remonte les allées des Buttes-Chaumont, rapportée, déformée, amplifiée, comme ce 21 juin, premier jour d'été et de chaleur, mais aussi samedi de deuil, après l'élimination de l'équipe de France à l'Euro. «Les Renois, c'est le groupe le plus faible, le moins structuré. La seule fois où ils se sentent français, c'est quand on gagne un match de foot», note Pierre Kamety, ancien militant antiraciste et habitant du coin.
    Les malaises s'exaspèrent. «On ne peut plus les mettre à l'école non juive. Quand j'emmène mon fils au Leclerc, je lui dis : «Enlève ta kippa», explique Judith, 35 ans, mère de trois enfants. Nos fils, jamais ils disent «sale Arabe, sale Noir». Ce sont toujours les autres qui disent : «sale juif».» Réponse deux trottoirs plus loin de deux copains beurs, 17 ans chacun : «C'est vrai que les juifs, eux, nous traitent pas : ils veulent juste faire la loi. Nous, on a rien contre eux. On fait même ensemble de la boxe anglaise. Ils s'énervent juste un peu s'il y a un Arabe qui va avec une feuj.» Un grand black de 21 ans corrige : «Un jour, aux Buttes-Chaumont, on s'est battus contre des feujs. Il y en avait un qui était dans la même classe qu'un Noir, ils se sont reconnus. Eh ben le juif, il a continué. Il a dit : «Dans des moments comme ça, on ne se connaît pas.»»
    En vacances, peut-être, loin de la France, ils oublieront. Les Noirs resteront là, dans leurs cités, quelques juifs iront en Israël, les Arabes retourneront au bled. Les yeux de Y., un jeune beur, se mettent à briller. Ses mains entortillent un drapeau algérien. Le cadeau d'une fille rencontrée dans l'après-midi et qu'il a trouvé «trop belle», qui le lui a donné. Il le respire, l'enroule autour de son cou, comme d'autres avant lui avec un mouchoir en dentelle, puis finit par le cacher dans sa chaussette. Il fait rigoler sa bande : «On va le ranger, on ne sait jamais, si on se fait contrôler.»

     

     Claude Askolovitch
    Le Nouvel Observateur

  • Sauver Le Darfour

    L’Union européenne au Darfour : derniers recours ?

    Par Mahor Chiche et Emmanuel Dupuy

    A l’appel de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, de la Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Louise Arbour, et sur demande des États de l’Union européenne (UE), les 47 membres du tout nouveau Conseil des droits de l’homme ont décidé d’envoyer une nouvelle mission d’enquête « pour évaluer la situation des droits de l’homme au Darfour », trois ans après la première mission, fin 2004, qui avait accusé le gouvernement soudanais de « crimes contre l’humanité ».

    Pour Kofi Annan, le Darfour, cette province de l’ouest du Soudan, est « l’enfer sur terre ». Depuis février 2003, les milices Janjawids soutenues par le régime islamiste de Khartoum, attaquent les rebelles, sèment la terreur et massacrent les populations civiles des tribus musulmanes agricoles noires (non arabes) dites « africaines ». Le conflit du Darfour avait déjà fait plus de 300 000 morts, 3 millions de réfugiés et de déplacés et privé 500 000 personnes de toute aide humanitaire (selon Human Rights Watch en 2006). Ni les accords de paix scellés à Abuja en mai 2006, ni le renforcement des contingents de l’Union africaine (dans le cadre de la mission de l’Union africaine au Soudan, AMIS), ni le vote d’une énième résolution onusienne qualifiant les actes du régime soudanais de « crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », n’ont mis fin à la catastrophe humanitaire.

    Pas plus d’ailleurs que les appels répétés de la Cour pénale internationale (CPI), qui a d’ores et déjà dressé une liste de 51 personnes qu’elle souhaiterait voir déférer, ou ceux du Programme alimentaire mondial (PAM) qui estime à plus de 700 000 millions de dollars l’aide nécessaire pour nourrir les Soudanais. L’enfer brûle toujours et s’étend au Tchad et à la République centrafricaine.

    Les éléments stratégiques du conflit

     

    Après 20 ans de guerre civile, un accord de paix entre le nord et le sud du pays a été signé en janvier 2005, sans que cela n’ait véritablement changé la posture du gouvernement central de Khartoum à l’égard des cultivateurs noirs du Darfour.

    Dans un contexte de raréfaction des ressources alimentaires résultant d’une longue sécheresse et d’une forte croissance démographique, le régime soudanais s’est résolument engagé dans une politique d’éviction des populations « africaines » sédentaires au profit des nomades « arabes » réputés plus proches du pouvoir. La découverte récente de ressources minières et pétrolières au Darfour semble avoir renforcé cette politique. Le Soudan produit 500 000 barils/jour et représente près de 6% des importations chinoises de pétrole. Cette donnée n’est probablement pas étrangère à l’opposition de la Chine au sein du Conseil de sécurité à toute intervention et explique aussi les velléités américaines dans la zone. Ces derniers étant fortement préoccupés par la sécurité de l’oléoduc entre le lac Tchad et Kribi au Cameroun, souhaitent avant tout éviter toute déstabilisation régionale touchant le Tchad et la République Centrafricaine.

    Dans ce contexte, plusieurs mouvements rebelles ont pris les armes. Les deux principaux groupes sont le Mouvement de Libération du Soudan (SLM) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM). Aujourd’hui seul le Front National de Rédemption(FNR, l’ancien JEM) continue la lutte. Le SLM observe un cessez-le-feu conformément à un accord signé avec le gouvernement soudanais sous l’égide de l’Union Africaine, accord dont le FNR n’est pas signataire.

    L’inaction de la communauté internationale s’est longtemps fondée sur les risques de déstabilisation régionale et le souci du maintien de la fragile paix entre le nord et le sud du Soudan, depuis l’accord de paix global signé entre le gouvernement fédéral soudanais et le Mouvement de Libération du Soudan (MPLS, dirigé par Salva Kiir, actuel Vice-Président du Soudan). L’échec actuel de la pression diplomatique semble être le résultat direct des menaces de veto chinois, partenaire économique de poids du Soudan, et russe, qui reste un pourvoyeur d’armes important pour Khartoum.

    Un pouvoir contesté

    La proclamation, en 1983, de la Charia, Loi islamique reléguant les non musulmans au rang de citoyens de seconde classe, fut une des causes principales de la guerre entre le gouvernement de Khartoum et le sud peuplé majoritairement d’animistes et de chrétiens.

    En 1989, alors que le gouvernement et le parlement démocratiquement élus s’apprêtaient à conclure la paix avec le sud Soudan et à supprimer la Charia, le parti islamiste (FNI, Front National Islamique, fondé par l’idéologue Hassan el Tourabi), qui n’avait recueilli que 10 % des voix lors des premières élections libres, prend le pouvoir par la force. Dès 1991, le régime de Khartoum théorise la notion d’infériorité des « africains noirs ».

    Depuis, le président Omar el-Béchir exerce son pouvoir sans partage. Au Soudan, le multipartisme affiché a des limites. Si plusieurs partis politiques sont présents (Baas, Oumma, Congrès populaire etc.), un seul exerce sa domination : le Congrès national. Aux législatives de 2000, il a ainsi remporté 355 sièges sur 360. Les partis d’opposition sont interdits et seules les candidatures personnelles sont autorisées.

    Lors des dernières élections présidentielles de 1996, le président sortant fut le seul des 41 candidats en lice à pouvoir prétendre faire campagne et obtint 86,6% des suffrages.

    L’illusoire efficacité d’une force internationale hybride

    Assurément, le nouveau dispositif prévu de force hybride UA-ONU n’offrira qu’une assistance technique insuffisante pour faire face à l’ampleur de la crise. Cette nouvelle proposition, comme les accords de paix d’Abuja et la récente prorogation du mandat de l’Union africaine de six mois, risque d’apparaître comme de la « poudre aux yeux».

    Au nom du principe de «la responsabilité de protéger» consacré en droit international, les Nations unies doivent intervenir au Darfour et assurer une opération de maintien de la paix renforcée. Un nouvel échec du multilatéralisme conduirait vraisemblablement à une opération américano-britannique solitaire. Depuis plusieurs semaines, en effet, les États-Unis et la Grande-Bretagne étudient les possibilités de frappes aériennes contre des objectifs militaires soudanais ciblés. Les deux pays ont d’ailleurs haussé le ton début en décembre 2006 en menaçant d’interdire de survol les avions soudanais, soupçonnés d’épauler les milices sur le territoire du Darfour. Le Canada aussi envisage d’ailleurs d’intervenir de plus en plus sérieusement.

    L’impuissance de l’ONU est surmontable : le rôle de la France et de l’Europe

    L’État soudanais refuse toujours la présence d’une force internationale sur son territoire, sous prétexte que la décision lui serait imposée de l’extérieur. Dans ce contexte, l’Union européenne, et plus particulièrement la France, pourraient jouer un rôle moteur pour rétablir la paix. Afin d’éviter que cette action ne soit perçue comme une initiative américano-otanienne, l’UE devra faire preuve d’un volontarisme politique soutenu en réaffirmant le rôle qu’elle entend jouer « hors zone » (européenne).

    En premier lieu, en refusant de se contenter de la résolution 1706, dont l’application reste subordonnée à l’accord de Khartoum, l’Union Européenne pourrait agir concrètement en prenant l’initiative d’une nouvelle résolution de l’ONU autorisant l’usage de « mesures coercitives » et organisant enfin le déploiement de Casques bleus au Darfour. Dans une telle hypothèse, une mission militaire européenne pourrait venir en soutien de celle de l’ONU. En août 2006, la mission européenne en République Démocratique du Congo (EUFOR RD Congo), en soutien de la mission de l’ONU(MONUC), a démontré l’efficacité d’un tel dispositif dans lequel l’UE a réaffirmé une vision propre de la sécurité internationale s’inscrivant dans le cadre du multilatéralisme. En raison des risques de veto russe et chinois, l’action de l’ONU a cependant peu de chances d’aboutir.

    Pour sortir de l’impasse, une autre démarche est envisageable. En vertu du Titre V du Traité de l’UE consacré à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), un État de l’UE peut assumer de sa propre initiative une mission de Politique européenne de Sécurité et de Défense (PESD). L’Union européenne peut ainsi planifier et conduire des opérations autonomes, comme elle l’a fait sous l’égide de la France avec l’opération Artémis en République démocratique du Congo en 2003. Elle y a déjà eu recours également en Macédoine (opération Concordia en 2003) et actuellement dans le cadre de la relève de la SFOR en Bosnie-Herzégovine (opération Altéa depuis décembre 2004). La France pourrait ainsi, en qualité de « nation cadre » d’une opération militaire européenne, avec des règles d’engagement clairs, sous chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en ayant accès aux moyens militaires et capacités collectives de l’OTAN, conformément à l’accord dit « Berlin Plus » de 2003, pleinement « assumer l’exercice de son droit d'initiative en matière de gestion de crise internationale et la responsabilité de la coordination d’une intervention militaire ». Cette mission de gestion de crise couplerait ainsi la légitimité du multilatéralisme, la cohérence de la PESD et les moyens militaires et logistiques de l’Alliance.

    Surmonter les blocages pour agir vite

     

    La réaction de l’ONU se faisant attendre, il est du devoir de la Communauté internationale en générale, de l’Europe et de la France en particulier de réagir avant que certaines communautés du Darfour ne disparaissent totalement. Face au blocage actuel et semble t-il durable de la situation, une prise de conscience collective quant à la légitimité d’une présence internationale est devenue plus que nécessaire. L’Europe qui a aussi des intérêts économiques à défendre au Soudan ne peut pas rester les bras croisés. L’UE qui finance déjà la force de l’AMIS doit faire un pas de plus pour sauver le Darfour, avant qu’il ne soit définitivement trop tard.

    Pour aller plus loin :

    - Save Darfur, collectif américain engagé sur la médiation de la situation humanitaire et politique au Darfour : www.savedarfur.org

     

    - Réseau francophone de recherche sur les opérations de maintien de la paix : www.operationspaix.net

    - Sauver Le Darfour, site d’information européen sur le Darfour: www.sauverledarfour.org

    - Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE) : www.ipse-org.eu

    - CEPES, centre D'études Des Politiques étrangères Et De Sécurité http://www.er.uqam.ca/nobel/cepes

    * Respectivement Président de Sauver Le Darfour (SLD) et Président de l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE)