Pour la création d'un pôle "génocides et crimes contre l'humanité" au TGI de Paris
Le XXe siècle aura abandonné des millions de femmes, d'hommes et d'enfants à des "atrocités qui défient l'imagination et heurtent la conscience humaine" (préambule du statut de Rome de la Cour pénale internationale): génocides, massacres organisés, viols collectifs, transferts forcés de population dans des conflits qui, aujourd'hui encore, ensanglantent le monde.
Quel plus grand scandale que l'impunité des criminels contre l'humanité ? Quel plus grand outrage pour les victimes et, au-delà, pour l'humanité tout entière ? Le jugement des responsables des génocides et crimes contre l'humanité ne saurait se limiter au seul tribunal de l'Histoire. Les victimes de la barbarie humaine ont le droit de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés. Les sociétés meurtries par des crimes qui révoltent la conscience ont le droit de se voir offrir une possibilité de réconciliation. L'humanité a le droit de se défendre contre l'oubli.
Patrie des droits de l'homme, la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. La création d'un pôle "génocides et crimes contre l'humanité" au tribunal de grande instance (TGI) de Paris réaffirme la volonté de la France de lutter sans faiblesse contre leur impunité.
Aujourd'hui, le traitement judiciaire des génocides et crimes contre l'humanité rencontre nombre de difficultés spécifiques. Les faits incriminés se situent hors de nos frontières. La dispersion géographique des informations, des preuves, des témoignages complexifie la tâche des enquêteurs et des juges. La technicité des affaires en cause nécessite des compétences particulières et de haut niveau. La complexité des contentieux ralentit inévitablement les procédures. L'augmentation du nombre d'affaires en suspens, concernant notamment plus de quinze Rwandais en attente d'un jugement, nous incite à agir vite.
La création du pôle "génocides et crimes contre l'humanité" s'inscrit dans le prolongement du regroupement des procédures, déjà opéré au profit des juges d'instruction du TGI de Paris. Elle repose sur une méthode éprouvée dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et dans le domaine de la santé publique. Elle permettra de regrouper autour d'un seul pôle spécialisé l'ensemble des contentieux des génocides et crimes contre l'humanité.
Elle favorisera la mutualisation des compétences, en réunissant des magistrats spécialisés, ainsi que les traducteurs, interprètes, experts et chercheurs indispensables au traitement d'affaires aussi sensibles que complexes. Elle s'inscrira en complémentarité de l'intervention de la Cour pénale internationale de LaHaye. Il ne s'agit pas de mettre en place la compétence universelle, mais de faire valoir les principes du droit international au sein des juridictions nationales, dans le respect du traité de Rome de 1998.
La création du pôle "génocides et crimes contre l'humanité" est prévue dans le projet de loi sur la spécialisation des juridictions et des contentieux, qui sera discuté au Parlement au premier semestre 2010.
Les personnes suspectes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité doivent être jugées. Elles le seront. La France s'inscrit résolument dans la lutte contre l'impunité. Seule la justice permettra à tous de tourner la page en faisant enfin émerger la vérité. Fidèle à ses principes, fière de sa justice rendue au nom du peuple français, la France saura se montrer à la hauteur de son histoire, de ses valeurs et de son idéal.
Bernard Kouchner est ministre des affaires étrangères
Michèle Alliot-Marie est ministre de la justice
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