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La nouvelle vague d'antisémitisme

La banalisation des actes antijuifs,
nouvelle cause de tensions urbaines

L'enquête du "Monde" à Sarcelles (Val-d'Oise) et dans le 19e arrondissement de Paris décrit le malaise qui s'est emparé de la communauté juive du fait de la multiplication des "actes d'hostilité". Ce climat s'inscrit dans un contexte général d'ethnicisation des rapports entre populations d'origines diverses.
Synagogues brûlées, écoles et bus scolaires attaqués, passants insultés... A entendre des représentants de la communauté juive, un mauvais climat semble régner en France depuis un an.

La polémique a enflé depuis que le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a publié, le 1er décembre, une liste de 300 "actes hostiles" commis en région parisienne entre septembre 2000 et novembre 2001. Un an après le déclenchement de la deuxième Intifada en Palestine, les jeunes Arabes de France étaient désignés comme les premiers responsables de ce "nouvel antisémitisme". La réalité, notamment dans deux endroits où la communauté juive est fortement implantée, le 19e arrondissement de Paris et Sarcelles (Val-d'Oise), semble plus nuancée. Mais la peur y est présente.

Dans ce coin de l'Est parisien, de nombreux orthodoxes ont ouvert commerces, restaurants et écoles depuis quelques années. Le 19e arrondissement, déjà très mélangé, est devenu le bastion des loubavitch. Hommes en costume noir coiffés d'un chapeau, enfants dont la casquette masque à peine les papillotes, femmes dont les chevilles et les poignets sont couverts : le paysage a lentement changé et les signes religieux ont fleuri sans que les autres habitants, français et immigrés, manifestent d'hostilité. Jusqu'à l'automne 2000.

Dans la nuit du 13 au 14 octobre, une cinquantaine de jeunes, majoritairement d'origine arabe, encerclent un restaurant de la rue Manin en hurlant des "Sales juifs !". La bagarre avec d'autres jeunes juifs venus en renfort dure une heure et demie avant que la police intervienne. Trois jours auparavant, des pierres avaient été jetées à la sortie de la synagogue de la rue Henri-Murger, et une autre avait été saccagée. Des graffitis "Mort aux juifs !" ont fleuri sur des murs adjacents. "On ne s'attendait pas à ça dans le quartier. La cohabitation se passait plutôt bien jusqu'alors, même si les débats s'animaient quand il était question d'Israël", raconte Mahor Chiche, animateur de SOS-Racisme dans l'arrondissement. Depuis, la pression est retombée, les actes les plus violents ne se sont pas reproduits. Mais le climat ne s'est pas assaini.

LES JOURS DE SHABBAT

Les juifs du quartier ressentent un malaise réel. Les kippas se font plus rares, les enfants préférant la casquette, plus discrète. Les jours de shabbat, la vigilance est de mise. "Les gens nous rapportent les insultes qui fusent lors du passage de femmes juives, les enfants qui se font "traiter" à l'école", affirme Gabriel Kabla, président de l'Amicale des juifs de Jerba. "Ce sont des regards mauvais, des blagues douteuses, renchérit M. Chiche. Il y a deux mois, une quarantaine de voitures ont été rayées d'étoiles de David, allée des Eiders. Une amie qui portait une médaille s'est entendue dire par un jeune "Bouge de là, ton étoile me gêne". On assiste à un lent enracinement de l'antisémitisme. C'est vrai que les jeunes Arabes se servent du combat antisioniste pour justifier leurs dérapages."

Pour le rabbin loubavitch Joseph Pezner, il n'y a pas d'hésitation possible : "Un certain tabou a lâché." Il en veut pour preuve les coups de fil répétés de familles insultées et menacées dans les cités, les tags sur les portes des appartements. "Mes collaborateurs ne laissent plus sortir leurs femme et enfants après 21 heures." Là encore, ce sont les "jeunes Maghrébins" qui sont en cause.

Le maire (PS), Roger Madec, ne nie pas les faits : "Il ne faut pas faire d'angélisme. Nous avons dans l'arrondissement une bande de jeunes d'origine musulmane qui commettent des actes d'incivilité contre les juifs. Pour eux, c'est la communauté juive qui est opulente et qui a tout. C'est faux, et il faut le dire."

Pourtant, nombre d'observateurs veulent croire que ces actes ne sont pas réfléchis et demeurent l'apanage de jeunes déjà marqués par la délinquance. "Les juifs sont plus visés aussi par ce qu'ils s'en sortent mieux que les musulmans du 19e", souligne Mahor Chiche, qui organise régulièrement des débats dans les lycées du quartier et des voyages au Mémorial de Caen. "Tout cela se passe dans un climat d'insécurité réelle dans l'arrondissement, avec des règlements de comptes entre petits trafiquants de drogue. Là-dessus viennent se greffer des actes contre les juifs, mais qui restent isolés", assure M. Kabla. Mais, pour ce médecin aux allures rondes, il ne faut pas "généraliser" : "Les rapports avec la communauté [musulmane], même si on n'est pas pareils, se passent très bien."

C'est aussi l'impression qui se dégage à Sarcelles, lieu d'implantation de la communauté juive séfarade depuis les années 1960, où les musulmans d'origine arabe ou africaine sont également nombreux. Au milieu des barres grises, quelque 80 nationalités se côtoient. Deux mosquées, six synagogues et trois églises : les lieux religieux sont à l'image de ce mélange. Ici aussi la tension est montée très fortement, mais plus tardivement qu'ailleurs. Dans le même quartier, par une nuit de la fin juillet, deux écoles juives ont été visées : l'une a été cambriolée, l'autre a reçu un cocktail Molotov et des pierres. Depuis, à en croire les autorités religieuses, la tension n'est pas retombée. "Des fidèles sont régulièrement agressés et insultés du côté de la cité Chantepie. On a des gens qui ont peur de venir à l'office du soir parce qu'ils se font cracher dessus", assure Mosche Cohen-Sabban, coprésident de la communauté.

La liste des petites vexations rapportées est longue : des injures, des graffitis sur les boîtes aux lettres, un rabbin harcelé tous les vendredis soir. "Il y a une recrudescence d'actes de délinquance qui visent la communauté. C'est ça qui est angoissant. Mais ce ne sont pas toujours des actes antisémites. J'ai l'impression que ces jeunes agressent ceux qu'ils voient comme les bourgeois de Sarcelles", nuance Marc Djebali, président de la communauté, qui assure avoir d'"excellents rapports" avec les musulmans. A ses yeux, les pouvoirs publics doivent "être en éveil" : "Il faut que la police soit en mesure de discerner les actes antisémites des autres petites délinquances." "Sarcelles est très stigmatisée, mais l'antisémitisme n'y est pas plus fort qu'ailleurs", jure de son côté Jeanine Cohen-Haddad, conseillère municipale. "C'est vrai que des tabous ont sauté, mais pas seulement contre les juifs ; aussi contre les Arabes et les Noirs."

"DANS LE LANGAGE COURANT"

Le constat est largement partagé : Saïd Rahmani, chargé des manifestations culturelles à la mairie, estime que "le regain de xénophobie touche toutes les communautés". "Dans le collège où je travaille, les gamins s'insultent régulièrement en se traitant de "Sale juif !" ou "Sale Noir !" C'est passé dans le langage courant, et il faut lutter contre. Mais de là à y voir une banalisation de l'antisémitisme, non !", argumente Mourad Boughanda, conseiller municipal élu sur une liste de jeunes divers gauche. Le maire, François Pupponi (PS), assure avoir "redoublé de vigilance" : "Nous ne voulons pas banaliser ces actes, même s'ils demeurent marginaux. J'ai demandé à la police de prendre toutes les plaintes au sérieux." Une cellule de veille a été mise en place avec les autorités consistoriales du département.

Le 20 janvier, tous les élus, toutes origines et tendances confondues, ont participé au rassemblement de la communauté de Sarcelles destiné à protester contre l'incendie de la synagogue voisine de Goussainville. Pour montrer qu'on peut continuer à vivre ensemble à Sarcelles.

Sylvia Zappi
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.02.02


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