Pour la Constitution Européenne
OUI à l’Europe politique ! OUI à la Constitution européenne !
Depuis son ouverture, le débat qui agite le parti socialiste sur le projet de Traité constitutionnel balance entre un OUI résigné, un OUI mou, un OUI du bout des lèvres et un NON empreint de démagogie et populisme.
L’Europe s’identifie aux délocalisations, à la perte des acquis sociaux, au Cheval de Troie du libéralisme, on asséne cette affirmation en croyant être en adéquation avec la vision des Français, d’une Europe dominée par l’ultralibéralisme. Laissé à l’écart du processus politique européen, ils ont fini par s’en détourner pour se poser une interrogation, qui reflète l’emprise du paradigme individualiste, « est-ce que l’Europe c’est bon pour moi ? ».
Les citoyens se transforment en consommateurs d’Europe ! Et certains socialistes, encouragent cet instinct à force de discours flagorneurs.
En fait, après avoir, collectivement, mené campagne en juin pour l’Europe sociale, les socialistes ont presque oublié que l’enjeu du référendum militant se situe sur un plan juridico-politique : que va changer le projet de Traité constitutionnel sur la vie des citoyens européens ? Préserve -t-il pour l’avenir la capacité d’action des socialistes en faveur d’une Europe plus démocratique, plus sociale, plus indépendante ?
Ces questions divisent, puisque l’ensemble des socialistes partage l’analyse des dysfonctionnements de la construction européenne actuelle : déficit démocratique et technocratie, opacité et influence néfaste des groupes de pression, nature libérale de l’essentiel des politiques économiques européennes menées. Pourtant, les sondages le répètent les Français et à fortiori les socialistes sont attachés à l’idée européenne.
Cette dimension renferme d’importants arguments qu’il convient de présenter pour convaincre d’œuvrer pour un OUI politique offensif.
Le camp du OUI doit se mobiliser
Le camp du OUI doit se réveiller et se préparer à une longue et difficile bataille ; s’il tire les leçons de sa campagne de 1992, il aura assez de ressort pour convaincre les socialistes puis les Français de l’indispensable ratification.
Pour convaincre, il faut oser parler de l’édifice européen, du mauvais Traité de Nice, des dysfonctionnements, des solutions apportées par le Traité constitutionnel… En somme, le camp du OUI doit rattraper en quelques mois cinquante-quatre ans de silence sur les contours définitifs du projet européen et de distanciation croissante entre les citoyens européens et les élites politiques. Ce camp du OUI ne doit pas se laisser enfermer dans des diversions (référendum pro-Chirac, nécessité d’un référendum sur l’entrée de la Turquie…), il se doit d’être à l’offensive.
Le taux d’abstention majeur des élections européennes du 13 juin 2004 est une sérieuse alerte, il faut faire œuvre de pédagogie sur l’utilité de l’Europe et le contenu du texte constitutionnel. Il faut oser traiter ce sujet complexe sans esquive, sans détour, sans grand écart.
Cette rigueur intellectuelle est essentielle à la crédibilité de l’action des socialistes. A chaque fois qu’elle nous a manquée, il nous en a coûté. En 1997, avant de devenir Premier Ministre, Lionel Jospin qualifiait le Traité d’Amsterdam de « SuperMaastricht » ; au pouvoir il refusa l’affrontement avec le Président Chirac et se rallia à sa ratification. L’échec du 21 avril 2002 trouve en partie sa source dans ces hésitations européennes.
Qui peut croire qu’une prise de position du parti socialiste en faveur du NON aujourd’hui pourrait tenir demain à l’heure de la prise de responsabilités ? Personne.
La cohérence et l’application du principe « je dis dans l’opposition ce que je ferai au gouvernement, je fais au gouvernement ce que j’ai dit dans l’opposition » interdisent les grands écarts et jeux d’équilibristes. Désillusions, promesses non tenues, développement de la crise civique, montée des extrêmes… sont en définitifs le douloureux prix de ce genre de positionnements.
La double victoire socialiste :
Lorsque Jöschka Fischer lança son appel à une Constitution européenne, nous étions peu à croire qu’elle puisse naître dans la décennie. Malgré ses lacunes, l’existence même d’un texte de nature constitutionnel est une victoire politique ! L’Union Européenne ne restera pas un simple Marché économique, elle a définitivement vocation à devenir une entité politique (l’adoption de la Charte des droits fondamentaux et le renforcement des droits du Parlement européen en sont les premières pierres).
La future Constitution européenne est une victoire politique sur les forces souverainistes et les eurosceptiques. Elle est la concrétisation du pari de Maastricht : l’intégration économique apportera l’intégration politique ; la construction économique de l’Europe conduit enfin à l’émergence d’un centre politique européen. L’adoption de la Constitution européenne ouvrira la voie à la fédéralisation.
Certes, ce texte n’est pas la Constitution parfaite dont rêvent les socialistes depuis la Convention de 1793, mais indiscutablement celui-ci marque d’importantes avancées démocratiques. Si le Traité de Bruxelles n’est pas l’œuvre d’une constituante, son mode d’élaboration transparent est déjà une victoire sur les modalités classiques de négociation, sur les diplomaties de couloirs.L’autre victoire socialiste consiste dans le mode de ratification choisi : l’exigence démocratique imposait que le peuple souverain, tout comme les socialistes, soient consultés, ils le seront.
La dilution politique de l’Europe tant redoutée par les partisans du NON de gauche est un leurre, elle sera entérinée si le projet de Constitution échoue. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander si l’Angleterre si hostile à l’idée d’Europe politique souhaite l’adoption de ce texte ? La réponse est évidente, dans leur grande majorité les Anglais qui n’ont pas de Constitution nationale écrite ne sont pas disposés à en adopter une supra-nationale. Un OUI à la Constitution européenne consiste bel et bien en un OUI à l’Europe politique !
Le Droit européen est d’ores et déjà supérieur aux Lois élaborées par le Parlement français :
Cette prévalence des normes européennes sur les Lois n’a pas été décidée par le citoyen ou par le Parlement, elle a été le fait des juges (DC, élections législatives du Val d’Oise,1988 ; CE, Nicolo,1989) ; ce qui du point de vue de sa légitimité est contestable.
La Cour de Justice des Communautés Européennes, dans son arrêt Tanja Kreil de 2000 a posé en principe général la primauté du droit communautaire sur les Constitutions des Etats membres.
Le Conseil Constitutionnel (DC, Sarran, 1998) et le Conseil d’Etat (CE, syndicat des industries pharmaceutiques, 2001) font encore primer la Constitution française sur les textes européens. Mais pour combien de temps encore ? Une récente décision du Conseil Constitutionnel en date du 10 juin 2004 suggère une prochaine reconnaissance de la supériorité des Traités européens sur la Constitution française.
L’européanisation de notre Droit influe désormais sur l’ensemble de la société. Aussi il me semble préférable de contrôler ces évolutions, de les accompagner, en déléguant volontairement une part de notre souveraineté nationale plutôt que de laisser la jurisprudence et en définitive le pouvoir des juges entériner ces bouleversements. Mieux vaut une Constitution choisie que l’œuvre créatrice du juge !
In fine, le projet de Constitution réintroduit véritablement de la politique dans le processus européen.
Le projet de Constitution n’est pas un horizon indépassable :
Malgré les récentes victoires électorales, la sociale démocratie française est en crise ; l’accès des forces socialistes au pouvoir n’assure pas la transformation sociale escomptée (absence de projet global, difficulté d’inventer de nouveaux modes d’interventions, faiblesse des liens avec la société civile…). Le problème du réformisme n’est donc pas une Constitution qui briderait les capacités d’action, mais son aptitude politique à associer les acteurs sociaux et à bouleverser la logique européenne actuelle.
La leçon des critères de Maastricht et du Pacte de stabilité est qu’aucun Traité n’est immuable, l’orientation politique des choix européens dépend du rapport de force crée ! Le projet constitutionnel ne comporte -t- il pas pour la première fois la possibilité de retrait d’un Etat membre ? Parce que nous sommes l’un des plus grands partis socialistes d’Europe, le PS français doit proposer à ses partenaires européens d’organiser des Etats Généraux en vue de l’élaboration d’un nouveau Traité européen complément au projet de Constitution actuel.
Redonner du souffle à l’idée européenne, c’est nourrir le projet socialiste, c’est permettre à la sociale démocratie de sortir de sa torpeur. L’élargissement à Vingt-cinq, le Traité de Bruxelles et les prochaines étapes de la construction européenne sont une chance historique pour le mouvement socialiste ; ils appellent à une rupture avec le concept destructeur de Fédération d’Etats Nations, pour enfin admettre que l’Europe Fédérale ne signifie pas la fin du modèle républicain !
L’illusoire efficacité du NON
Si les NON danois, irlandais, ou gaulliens ont pu à court terme apporter des gains politiques aux gouvernements nationaux en place sur quelques dossiers clefs ; en définitive, l’isolement provoqué, l’opprobre jeté sur ces choix provoquèrent peu de gains véritables. Pire, certains NON furent complètement ignorés par le système européen.
Aujourd’hui, un NON de la France n’empêcherait pas l’Europe d’aller de l’avant. Il maintiendrait pour un certain temps la France hors course, et une fois revenue à la table européenne ni la France ni l’Europe n’en sortiraient plus forte. Le NON protestataire c’est refuser la trithérapie en espérant la découverte du remède miracle.
Les partisans du NON portent une illusion, celle qui consiste à croire que l’on pourrait ignorer la construction en cours pour démarrer une nouvelle aventure avec les six Etats fondateurs. Leur projet est impossible, car fondé uniquement sur un prisme franco-français. L’Union Européenne doit être réformée avec nos alliés européens de l’intérieur !
Les prochaines étapes importantes et délicates pour l’avenir de la construction européenne ne permettent pas de douter. Entre cette Constitution et les Traités précédents, entre cette Constitution et un atermoiement européen notre choix doit être clair : un OUI politique offensif pour changer le cap de l’Europe !
Mahor CHICHE Conseiller municipal PS chargé des Droits de l’Homme, Paris XIXème.