L'interview de Roger Cukierman, Président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), de ce lundi matin par Jean-Pierre Elkabbach sur Europe1 a créé la polémique,  et la décision du CFCM (Conseil français du culte musulman) et son Président Dalil Boubakeur de refuser de participer à son diner annuel.

En effet, Roger Cukierman a par ses propos à la fois blessé la très grande majorité des musulmans de France non-antisémites et participé à la dédiabolisation de Marine Le Pen et de son parti.

Ces propos sont une faute politique.

1-Sur les propos contestables de Roger Cukierman sur les musulmans

Roger Cukierman a déclaré :"Il faut dire les choses : toutes les violences [antisémites] aujourd'hui sont commises par des jeunes musulmans. Bien sûr, c'est une toute petite minorité de la communauté musulmane et les musulmans en sont les premières victimes".

Cette phrase qui veut laisser croire qu’il s’agit d’un constat d’évidence est condamnable et regrettable à plusieurs titres.

Indiquer que toutes les violences sont commises par des jeunes musulmans est une généralisation grotesque ; de surcroit, elle est factuellement fausse.

L’islam radical est à la source de nombreux actes terroristes, mais il compte de nombreuses recrues parmi « les convertis ».

L'ignorance, les préjugés ou l’antisémitisme « chrétien » (les juifs aiment l’argent, sont des ''judas''…) sont eux à la source des actes antijuifs du quotidien (insultes, crachats, violences…). Selon l’historien Nicolas Lebourg (Libération.fr), « Si l’on s’appuie sur les travaux de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, sur la dernière décennie, un tiers ‘‘seulement’’ des violences antisémites sont le fait de Français issus de l’immigration afro-maghrébine ».

Les victimes de ces violences sont principalement juives, mais les attentats de Toulouse ou de Charlie ont fait aussi des victimes « musulmanes ». En ne le mentionnant pas, avec force, la déclaration de Roger Cukierman conforte l’idée d’une possible confrontation communautaire opposant en France juifs et musulmans. Confrontation qui est le but même des groupes politiques à la source du recrutement de Djihadistes.

Dénonçons l’endoctrinement, « la talibanisation » de certains esprits, luttons contre l’ignorance et les préjuges, mais ne donnons pas des prétextes aux prêcheurs de haine.

2- Marine Lepen n'est pas irréprochable !

Roger Cukierman a déclaré : « Marine Le Pen à titre personnel est irréprochable » (…) « Je crois que nous sommes tous conscients dans le monde juif que, derrière Marine Le Pen, qui est irréprochable personnellement, il y a tous les négationnistes, tous les vichystes, tous les pétainistes et donc pour nous, le Front national est un parti à éviter ».

Roger Cukierman a précisé ses propos en indiquant que « madame Le Pen n'est pas fréquentable parce qu'elle ne s'est pas désolidarisée des propos de son père ». Sage précision mais trop tardive pour éteindre la polémique.

En effet, ni le FN, ni Marine LePen sont irréprochables, certes de plus en plus de responsables politiques débattent avec elle, mais pour autant celle-ci n’a pas finalisée la mue républicaine de son parti. Elle reste hors du champ républicain. Les deux exemples suivants illustrent son incapacité à rompre avec « le FN version Jean Marie ».

-Marine Lepen a refusé de condamner les propos terrifiant de son père sur la tuerie d'Oslo et d'Utoya. M. Le Pen avait fustigé la "naïveté" du gouvernement norvégien face au "danger" du "terrorisme" et de "l'immigration massive, qui est la cause principale, semble-t-il, dans l'esprit de ce fou meurtrier".

-Marine Lepen s’est rendue à l'invitation du dirigeant du parti d'extrême droite FPÖ, Heinz-Christian Strache, à Vienne, à un bal organisé - le jour de la commémoration du 67e anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz- par des corporations d’extrêmes droites interdisant l’entrée aux juifs et aux femmes.

Surtout, la rhétorique anti-immigration et raciste (Cf. priorité nationale) demeure le cœur politique du FN. La déclaration de Roger Cukierman ne rend donc pas service aux juifs de France, ni à la fraternité intercommunautaire, ni au Vivre Ensemble républicain.

Si le CRIF, le CFCM, le CRAN sont des partenaires de la République pour avoir des interlocuteurs au sein d’organisations communautaires (Organisations communautaires souvent distinctes de celles qui organisent le culte) ; ces organisations ne doivent pas être les porte-paroles politiques de leurs membres.

Le Président du CRIF ne représente pas les juifs de France, le CRIF représente les institutions juives de France ; la nuance est importante. BFMTV, Itélé et les médias devraient rappeler cette distinction plutôt que de  laisser croire que le CRIF parle au nom des juifs, le CFM au nom des musulmans et le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France) au nom des noirs.

En République chacun est libre de croire ou non, chacun est libre de s’organiser en association ou non, de se rattacher à une communauté ou non mais la chose politique appartient aux citoyens non aux communautés.

Cet égarement de Roger Cukierman a le mérite de rappeler à tous ceux qui en douteraient que seules la laïcité et la République sont les remparts aux extrémismes et logiques de haine.