Paix introuvable au Darfour,
par Michaël Chetrit et Mahor Chiche
Pour le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, le Darfour, cette province de l'ouest du Soudan où se déroulent depuis 2003 des massacres à grande échelle est "l'enfer sur terre".
Au cours des vingt dernières années, la communauté internationale a assisté, impuissante, aux massacres massifs du sud Soudan, 2 millions de morts depuis 1983. Aujourd'hui, la communauté internationale doit faire cesser les crimes contre les populations civiles noires du Darfour. Les milices janjawids, alliées du régime islamiste de Khartoum, s'appuient sur les tribus musulmanes "arabes", pour massacrer les tribus musulmanes "africaines" contestataires de l'ouest du pays.
Selon un rapport accablant du procureur général de la Cour pénale internationale présenté à l'ONU, le 14 juin, sur les 6 millions de Darfouriens, plus de 200 000 civils sont morts depuis 2003, au rythme de 10 000 victimes par mois. Aujourd'hui, 2,5 millions de réfugiés et de déplacés vivent dans des camps exsangues soutenus par une aide internationale entravée et terrorisée par le régime de Khartoum. Depuis juin 2004, 7 000 soldats de la mission de l'Union africaine, sous-équipés, sont cantonnés à un rôle difficile de simple observateur dans une région grande comme la France.
En outre, l'Union africaine, qui n'est plus financée par la communauté internationale, n'a pas l'intention de poursuivre sa mission au-delà du 30 septembre. Ce départ risque de déclencher l'intensification des attaques, qui se poursuivent aujourd'hui en dépit d'un "deuxième" accord de paix de désarmement et de démocratisation, signé en mai à Abuja, au Nigeria, entre le gouvernement soudanais et la principale milice rebelle du Darfour, le Mouvement de libération du Soudan.
Le 16 mai dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU a enfin pris une résolution autorisant le principe d'une opération des casques bleus au Darfour, en remplacement de la mission de l'Union africaine. Cette résolution a été prise en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies prévoyant la possibilité de "mesures coercitives", économiques ou militaires. Mais cette éventualité reste théorique car la Russie et surtout la Chine demeurent très "réservées" sur tout emploi de la force. Le Soudan représente en effet 6 % des importations chinoises de pétrole.
Les Nations unies tentent donc désespérément d'obtenir l'accord de Khartoum pour cette opération de maintien de la paix. Le Soudan a certes accepté une mission d'évaluation de l'ONU en territoire soudanais, s'attirant les foudres du numéro deux d'Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, mais s'oppose toujours à l'entrée des casques bleus au Darfour. Le blocage est total. Le secrétaire général adjoint de l'ONU a, en effet, déclaré : "toutes les opérations de maintien de la paix en Afrique s'effectuent avec la coopération du pays d'accueil."
L'ONU s'active sans relâche depuis le début du conflit et pourtant, sur le terrain, la situation ne s'améliore pas. Le gouvernement soudanais gagne du temps alors que les massacres continuent. Le régime de Khartoum, issu d'un coup d'Etat intervenu en 1989 alors que son parti, une émanation des Frères musulmans, n'avait recueilli que 15 % des voix lors des premières élections libres du pays, se distingue par sa brutalité depuis près de dix-sept ans, au sud Soudan d'abord, puis au Darfour. Face à cette dictature, il n'est plus concevable d'envisager une autre voie que sa mise à l'écart du pouvoir. Seul un front uni de la communauté internationale permettra d'arrêter les massacres et de restaurer la démocratie au Soudan.
Pour surmonter le veto chinois, il n'y a donc qu'une possibilité : rallier la Chine à la mobilisation internationale, en la rassurant sur la continuité de ses exploitations pétrolières au Soudan. Il en va de la vie de la grande majorité du peuple soudanais, depuis trop longtemps opprimé.
Michaël Chetrit et Mahor Chiche sont membres et vice-président d'Urgence Darfour France.
www.sauverledarfour.org
Article paru dans Le Monde, édition du 28.06.06