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  • Darfour - Quand la Cour pénale internationale défie la communauté internationale

    Mahor Chiche, Président de l'association Sauver le Darfour (www.sauverledardour.eu) et avocat au Barreau de Paris 29 juillet 2010 Afrique
    Dans son mandat d’arrêt en date du 4 mars 2009, la CPI a estimé qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner le président El-Béchir d’être pénalement responsable, en tant qu’auteur ou coauteur indirect, pour cinq chefs de crimes contre l’humanité et deux chefs de crimes de guerre.<br />
    Photo : Agence France-Presse Khaled Desouki
    Dans son mandat d’arrêt en date du 4 mars 2009, la CPI a estimé qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner le président El-Béchir d’être pénalement responsable, en tant qu’auteur ou coauteur indirect, pour cinq chefs de crimes contre l’humanité et deux chefs de crimes de guerre.
    Depuis le procès de Nuremberg, la justice internationale moderne se construit à petits pas, accordant une place prépondérante à la notion de droits de la personne et de droit d'ingérence. Cambodge, Sierra Léone, Bosnie, Rwanda, autant de lieux de conflits modernes qui ont encouragé l'émergence d'une justice internationale indépendante des États-nations.

    La création de la Cour pénale internationale (CPI), première juridiction pénale internationale permanente, est venue parachever cette construction du droit pénal international; la Cour a pour fondement juridique le statut de Rome, signé le 17 juillet 1998 par 120 États, et entré en vigueur le 1er juillet 2002, après sa ratification par 60 États. La CPI «peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale».

    Le président américain Barack Obama, qui s'était engagé pour le Darfour durant sa campagne présidentielle et dont l'administration étudie une possible adhésion des États-Unis à la CPI, a déclaré le 11 juillet 2009: «Quand on a un génocide en cours au Darfour ou des terroristes en Somalie, il ne s'agit pas seulement de problèmes africains, ce sont des défis lancés à la sécurité internationale et ils réclament une réponse internationale. Et c'est pourquoi nous nous tenons prêts à être des partenaires, à travers l'action diplomatique, l'assistance technique et le soutien logistique et nous soutiendrons les efforts visant à faire juger les criminels de guerre.»

    La CPI a décidé de montrer la voie du sursaut à la communauté internationale en incriminant le 12 juillet 2010 le président Omar el-Béchir de génocide.


    Recherches laborieuses

    La situation au Darfour a été déférée à la CPI par la résolution 1593 du Conseil de sécurité des Nations unies, le 31 mars 2005. Dans son mandat d'arrêt en date du 4 mars 2009, la Cour a estimé qu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner le président El-Béchir d'être pénalement responsable, en tant qu'auteur ou coauteur indirect, pour cinq chefs de crimes contre l'humanité (meurtre, extermination, transfert forcé de population, torture et viol) et deux chefs de crimes de guerre (attaques intentionnelles contre des civils et pillage).

    Concernant la qualification de génocide, la difficulté juridique résidait jusqu'à présent dans la démonstration de l'existence de l'élément intentionnel, ce qui expliquait le rejet de la requête du procureur de la CPI en ce qui concerne la charge de génocide.

    Le procureur Luis Moreno-Ocampo a alors persisté dans son travail laborieux de récolte de témoignages de victimes et de preuves afin d'inculper le président soudanais Omar el-Béchir de génocide. Le 12 juillet 2010, les magistrats de la chambre préliminaire 1 de la CPI ont délivré un nouveau mandat d'arrêt intégrant l'accusation de génocide prévue à l'article 6 du statut de Rome; le président soudanais serait responsable entre 2003 et 2005 du meurtre d'au moins 35 000 civils des trois ethnies Four, Masalit et Zaghawa, et de l'expulsion et du viol de centaines de milliers d'entre eux. Le conflit du Darfour a déjà fait depuis 2003 plus de 400 000 morts et 2,7 millions de déplacés.

    Obstacles

    Omar el-Béchir est le quatrième chef d'État en exercice à être poursuivi par la justice internationale. Lors du scrutin contesté d'avril 2010, Omar el-Béchir a été, en l'absence de la participation des partis d'opposition, réélu; la CPI engage ainsi sa crédibilité en incriminant le potentat soudanais et en réclamant de fait à tous les États parties au statut de Rome son interpellation.

    La décision du 12 juillet dernier de la CPI défie la communauté internationale et sa réalpolitik; ce nouveau mandat accentue la pression pour l'arrestation du potentat el-Béchir et complique singulièrement le statu quo mal assumé dans lequel les chancelleries s'étaient installées.

    Le concept de responsabilité de protéger implique qu'à la suite de la qualification de génocide, les États membres de l'ONU ont désormais l'obligation d'agir avec détermination pour protéger les populations civiles soudanaises. Le Soudan n'est pas partie à la Convention sur le génocide et risque d'entraver encore plus l'aide internationale (en 2009, 13 ONG internationales actives au Darfour avaient été expulsées en réponse au mandat d'arrêt de la CPI), mais les principes reconnus par les nations civilisées, jus cogens, s'imposent à tous les États.

    La Ligue arabe, l'Organisation de la conférence islamique, l'Union africaine et la Chine continuent de soutenir Omar el-Béchir dans son bras de fer contre la CPI. L'administration du président Obama ménage quant à elle ostensiblement le régime de Khartoum. Malgré les exactions qui continuent (plus de 200 morts selon la MINUAD au mois de juin dernier), les États-Unis souhaitent préserver le maintien de l'accord de paix Nord-Sud et continuer à bénéficier de la coopération du Soudan dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Réalpolitik contre justice universelle.

    Le temps de l'action

    Il est temps que les résolutions de l'ONU déjà votées soient appliquées, la qualification de génocide des crimes commis l'autorise et le commande. Le temps de la diplomatie de velours est révolu: six ans après le début des massacres, la responsabilité du président soudanais, de son armée et de ses milices Janjawids est enfin recherchée par la justice internationale.

    Cette décision de la Cour pénale est courageuse, elle détonne avec la réalpolitik des gouvernements, elle rappelle qu'au Darfour, il y a bien des bourreaux et des victimes. Le chercheur Marc Lavergne a depuis longtemps qualifié de «Munich tropical» cette obsession des Occidentaux à chercher un compromis entre le gouvernement soudanais et les groupes rebelles.

    Il convient désormais de faire de la responsabilité de protéger une réalité. La CPI a donné les fondements juridiques à une telle démarche. La communauté internationale, à commencer par les États connus pour leur attachement au respect des droits de la personne, doit désormais se mobiliser pour améliorer la situation humanitaire et sécuritaire de la région et pour faire enfin cesser les massacres au Darfour et l'impunité de leurs auteurs.

    ***

    Mahor Chiche, Président de l'association Sauver le Darfour (www.sauverledardour.eu) et avocat au Barreau de Paris

  • IL FAUT SAUVER LA HALDE !


    L’Union européenne a fait de la lutte contre les discriminations liées à l’origine raciale ou ethnique ; la religion ou les convictions ; le handicap ; l’orientation sexuelle; l’âge une de ses priorités. Depuis 2000, de nouvelles Lois ou directives communautaires ont été promulguées dans le domaine de la lutte contre la discrimination comme la directive 2000/43/CE relative à l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique et la directive 2000/78/CE relative à l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.


    Après avoir longtemps tardé à admettre l’existence de discriminations quotidiennes et massives dans la société française, les décideurs publics ont commencé à en mesurer l’importance au début des années 2000 avec les campagnes citoyennes d’interpellation des pouvoirs publics et de « testing » ainsi que sous l’influence du droit communautaire.


    Grace à l’action de l’association SOS Racisme et de chercheurs comme Patrick Simon, François Clerc, Gwénaële Calves et Jean-François Amadieu, la nécessité et l’urgence de la lutte contre les discriminations ont été insérées dans l’agenda gouvernemental.
    En France, « le testing » a été reconnu comme un mode preuve recevable et loyal par un arrêt du 11 juin 2002 de la Cour de Cassation, avant de faire l’objet d’une consécration législative (la Loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006 a introduit dans le Code pénal un article 225-3-1 relatif aux tests de discrimination).


    Le Président de la République française, Jacques Chirac, a fait voté et promulgation en 2004 la Loi portant création de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE), Haute autorité administrative et indépendante compétente pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la Loi ou par un engagement international auquel la France est partie.


    La HALDE est habilitée à mener des auditions et des enquêtes, elle peut transmettre des dossiers au Procureur de la République, elle a une mission d'information et de promotion de l'égalité, elle peut recommander toute modification législative ou réglementaire, et remet chaque année un rapport – rendu public – rendant compte de l'exécution de ses missions. Elle vise également à identifier et promouvoir les bonnes pratiques pour faire entrer dans les faits le principe d’égalité.


    Cette création s’inscrit dans la continuité du Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations GELD et de son fameux numéro vert d’orientation des victimes. Bien entendu, les organisations antiracistes et syndicales ont salué cette création comme une victoire symbolique très importante tout en restant prudentes quant à la réalité de l’étendue de son pouvoir.


    Surtout, la décision de confier à une autorité administrative et non à l’autorité judiciaire la charge de la lutte contre les discriminations pouvait laisser craindre que la nouvelle institution favorise uniquement la médiation. L’activité de la HALDE surtout ces dernières années a montré que la nouvelle institution était un véritable point d’appui du combat pour l’égalité des droits en France.
    La force symbolique de cette institution a conduit, après les émeutes urbaines de 2005, le gouvernement Villepin a renforcé son pouvoir de sanction ; La HALDE a obtenu le pourvoir de proposer une transaction pénale.


    La HALDE a dénoncé de nombreuses ruptures d’égalité dans le domaine notamment de l’emploi, du logement et des loisirs, soutenu des victimes de discriminations et diffusé largement le droit à l’égalité malgré des moyens limités. Le volontarisme politique institutionnel a permis à la HALDE de traiter plus de 30 000 réclamations et de faire part de ses observations devant les juridictions françaises.


    La HALDE s'est également affichée comme un rempart au communautarisme en s’insurgeant contre l'instauration de tout système de quotas destiné à favoriser la représentativité de minorités issues de l'immigration en entreprise.


    Aujourd’hui, l’existence de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité est menacée. Au moment où le travail de la HALDE commence à porter ses fruits, le Gouvernement Fillon a décidé de la supprimer sans aucune concertation et de transférer ses compétences à un Défenseur des droits, une nouvelle institution aux contours plus que flous.


    La création d’un Défenseur des droits, d'un « ombudsman à la française », par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 est une avancée démocratique puisqu’il vise à « renforcer substantiellement les possibilités de recours non juridictionnel dont dispose le citoyen pour assurer la défense de ses droits et libertés». Cependant, dans le projet de Loi organique actuel, le Défenseur des droits se présente comme une personnalité nommée et se substituant à des organismes collectifs tels la HALDE, ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité CNDS. Ce dispositif tentaculaire absorberait d’ailleurs seulement une partie des compétences de ces autorités administratives reconnues qui ont prouvé leur utilité pour aider les victimes et interpeller les pouvoirs publics sur les atteintes, constatées, aux droits.


    La suppression de la HALDE, de son Collège, et de son Comité consultatif conduirait à la disparition d’une instance originale de concertation, d’expertise, et de partenariats et d’actions communes regroupant les acteurs publics et privé.


    La suppression de la HALDE conduira à une suppression de l’autonomie d’initiative face aux pouvoirs publics et à une réduction des moyens humains et financiers pour la lutte contre les discriminations.


    La HALDE fonctionne correctement, elle développe chaque jour sa légitimité et son champs d’investigation ; elle est devenue incontournable pour les victimes. Pour les victimes de discriminations, la disparition d’une institution identifiée constituerait une grave régression ; c’est pourquoi, il faut sauver la HALDE.


    La défense de la HALDE nous concerne tous !


    Dans le contexte actuel de libération de la parole raciste et xénophobe, il est du devoir de toutes les forces républicaines de refuser cette régression. La construction d’une République métissée faisant de l’égalité des droits un élément consubstantiel au Pacte républicain passe par la sauvegarde de la HALDE et de son indépendance.


    Gouvernement, Parlementaires, partenaires sociaux, élus locaux, et citoyens doivent se mobiliser pour maintenir la HALDE en renforçant son autonomie, ses moyens, et ses prérogatives.