Darfour : du désastre humanitaire à l’échec politique
Mahor Chiche et Laurent David Samama, Président de Sauver le Darfour et président de l'UEJF Paris III
Des corps déchirés, des femmes violées, des enfants affamés et déjà 300 000 morts et 3 millions de déplacés. Voila désormais plusieurs longues années que le Darfour, cet « enfer sur Terre » selon les mots Koffi Annan, se déchire sous les yeux impassibles de la communauté internationale.
Pourtant les coupables d’un tel désordre au Soudan sont connus. Les médias, aux Etats-Unis encore plus qu’en Europe, ne cachent pas que la Chine, ce géant désormais réveillé, soutient le corrompu et xénophobe gouvernement soudanais. Il ne s’agit donc pas d’écrire un énième article sur le couple malsain formé par les pouvoirs chinois et soudanais conduisant le Darfour vers la mort ; ce serait continuer d’accuser comme on le fait trop souvent, sans trouver de solution constructive au génocide darfouri.
En effet, pendant que l’on tergiverse (en Europe surtout) sur le fait de savoir, si oui ou non un génocide se déroule réellement au Darfour, ce sont des villages entiers qui sont rayés de la carte au nom des ambitions régionales du régime soudanais doublées d’une suprématie arabe sur les populations noires. Malheureusement en ce qui concerne la crise au Soudan, on s’acharne systématiquement à détourner les yeux du vrai problème : le Darfour se meurt !
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L’Europe, pourtant première bailleur de fonds de l’Union africaine et première contributrice à la Minuaid ne prend pas la pleine mesure de l’urgence au Darfour. En effet, l’UE finance souvent les projets humanitaires sans tenter de promouvoir une issue politique au conflit. L’Eufor elle-même apparaît bien impuissante à contrôler le No man’s Land qu’est devenu la frontière tchado-soudanaise.
S’agissant de la crise darfourie, on évoque surtout les Etats-Unis comme étant à la pointe de la mobilisation. Par l’action conjuguée d’ONG, de médias influents et de personnalités reconnues, l’opinion publique américaine a été très tôt sensibilisée en faveur du Darfour, à tel point qu’on y parle non pas de massacres comme en Europe mais bien d’un génocide (avec toutes les conséquences qu’implique le terme). Si en 2004, seuls 16% des américains savaient que « quelque chose de terrible se déroulait au Darfour », ils sont aujourd’hui plus de 80%. Contrastant avec la frilosité européenne, les américains n’attendent pas de pouvoir mesurer rétrospectivement l’horreur humanitaire pour comprendre la nécessité de transparence sur le conflit darfouri. Ainsi, on connaît désormais l’action très médiatisée de Georges Clooney et d’Elie Wiesel pour le Darfour de même que le travail de mobilisation sur les campus américains.
Très récemment encore, le cinéaste américain Steven Spielberg, hostile à l’influence négative exercée par le pouvoir chinois sur la question darfourie a démissionné de son poste de conseiller artistique des Jeux Olympiques de Pékin. S’associant à plusieurs prix Nobel de la Paix, Spielberg rappelle qu’ «en tant que partenaire politique, militaire et économique majeur du Soudan, et en tant que membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, la Chine a à la fois la possibilité et la responsabilité de contribuer à une paix juste au Darfour ».
La sensibilisation et les bons sentiments ne font pas tout ; On sait également que les Etats-Unis font pression sur le Soudan par la voie économique. Ils ont durci leur politique d’investissement en prohibant les implantations de firmes dans des territoires douteux et interdisent désormais aux entreprises nationales de s’implanter au Soudan. Selon Zahara Heckscher, directrice de la campagne de désinvestissement de capitaux au Soudan pour Save Darfour Coalition, « Le peuple américain ne veut pas investir dans le génocide ».
Cette diplomatie de l’ombre, moins spectaculaire mais tout aussi efficace prouve la nécessité de sortir des débats incessants pour promouvoir une action concrète et réaliste. Assurément, il faut une diplomatie musclée pour le Darfour. Il est temps que l’Europe adopte la même posture et impose de telles mesures.
Surtout, la crise du Darfour a investi le champ politique américain si bien que chaque candidat à la présidentielle de 2008 possède une opinion sur l’attitude à adopter pour une sortie de crise au Darfour. Du coté démocrate, Hilary Clinton, John Edwards et Barack Obama ont résolument affiché leurs volontés d’engager plus concrètement les Etats-Unis au Darfour en utilisant leurs forces militaires au service d’une aide humanitaire de grande envergure notamment. Coté républicain, John Mc Cain candidat à la Maison Blanche s’est distingué par la publication de deux tribunes dans le Washington Post sur la question du Darfour. Les politiques s’expriment avec force et le Darfour devient de fait un enjeu géopolitique de première importance aux Etats-Unis. Georges Bush lui-même a menacé à plusieurs reprises le gouvernement soudanais en cas de persistance des massacres.
Pourtant, l’élection d’un nouveau président en 2008 ne rendra pas plus aisée une issue à la crise. En effet, envisager une intervention militaire américaine au Darfour semble délicat. Du fait de leur lourde implication en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis ne peuvent se permettre d’engager seuls de nouvelles forces armées sur un troisième foyer de combats. D’autant que les américains redoutent qu’une telle intervention rallument la guerre civile entre le Nord et le Sud Soudan et leur fasse perdre les précieux renseignements des services secrets soudanais qu’ils utilisent jusqu’ici pour traquer Oussama Ben Laden.
Malgré tout, les Etats Unis pourraient décider de bombarder les trois usines d’armement soudanaise où mettre via l’OTAN une zone d’exclusion aérienne en place. Dans l’attente du déploiement des Casques bleus, protéger les civils des bombardements serait déjà une démonstration de force utile et nécessaire.
Ainsi les Etats-Unis représentent une rampe de lancement médiatique et diplomatique précieuse pour trouver une solution diplomatique à la crise darfourie et restent également une puissance incontournable dans l’optique d’une d’intervention militaire.
Il n’en demeure pas moins crucial que l’Union européenne ne reste pas absente de cette mobilisation. Si le Parlement européen a déjà voté trois résolutions en faveur du Darfour, leur application reste difficile.
En effet, il appartient à l’Europe de se saisir du combat pour la paix au Darfour et de le poursuivre. Avec l’action conjuguée des 27 Etats membres de l’Union européenne, les moyens de pression se verraient être démultipliés. Il s’agit là d’une occasion inespérée pour l’Union européenne de s’affirmer sur la scène internationale. S’affirmer sur le plan géopolitique, parler puissamment d’une seule voie (diplomatie sérieuse et concertée) et oublier les querelles internes aux 27 qui nous plongent dans un certain immobilisme afin que l’UE relève les défis de ce XXIème siècle.
Plusieurs éléments portent à croire que l’Europe est le nouveau lieu de mobilisation pour la paix au Darfour. D’abord les liens historiques forts entre l’Europe et les pays africains concernés de près ou de loin par la crise au Darfour.
Lieu du drame, le Soudan connu au début du XXème siècle l’influence britannique. De même, le Tchad, pays frontalier du Soudan directement confronté aux conséquences des massacres au Darfour était au début du siècle dernier un protectorat français puis une colonie qui obtint son indépendance en 1960. La République Centrafricaine elle aussi limitrophe du Soudan était administrée par la France jusqu’en 1960. Ainsi, les anciennes puissances coloniales que sont la France et le Royaume-Uni (et dans une moindre mesure, le Portugal, la Belgique, l’Allemagne ou l’Italie) peuvent et doivent user de toute leur influence en Afrique pour promouvoir la paix au Darfour.
Le désastre humanitaire que certains estimaient sous contrôle ne l’est plus, il convient de mettre en œuvre les solutions politiques nécessaires à la restauration de la paix. Dans une tribune publiée dans Libération, Pat Cox, ancien président du Parlement européen, membre du comité de direction de l'International Crisis Group, prend la mesure du rôle que doit jouer l’Europe au Darfour et écrit : « le désistement perpétuel de l'Union européenne ne fait qu'encourager Khartoum. L'Europe doit appliquer la pression nécessaire pour aider les Nations unies à mettre fin à l'horreur. ». Pour lui, « Il existe des mesures pratiques que l'Union européenne pourrait mettre en place et qui pourraient très certainement améliorer l'efficacité des efforts entrepris par les Nations unies ». Celles-ci sont simples : elles consistent en une collaboration accrue ainsi qu’un renforcement du contrôle des investissements des 27 au Soudan. De la même façon, Pat Cox rappelle que le Parlement européen avait appelé à l’arrêt des massacres au Darfour tout en préconisant « des sanctions ciblées à l'égard du gouvernement soudanais ».
La réaction de l’ONU se faisant attendre, il est du devoir de la Communauté internationale en générale, de l’Europe et de la France en particulier de réagir avant que certaines communautés du Darfour ne disparaissent totalement. Face au blocage actuel et semble t-il durable de la situation, une prise de conscience collective quant à la légitimité d’une présence internationale est devenue plus que nécessaire.
L’UE doit faire un pas de plus pour sauver le Darfour, avant qu’il ne soit définitivement trop tard. Elle doit relancer le processus de paix tout en durcissant les sanctions contre le régime soudanais.
La France va bientôt se saisir de la présidence tournante de l’Union Européenne. Présentée comme un point central du mandat de Nicolas Sarkozy, il serait bienvenu pour le Président français plein de bonnes intentions face à cette nouvelle responsabilité d’en profiter pour pacifier le Darfour. Il s’agit là d’une formidable occasion à saisir pour en terminer avec les massacres au Darfour et ramener la paix dans l’ensemble de la Corne de l’Afrique.