Pour une gauche décompléxée
A un an de l'échéance de 2012, de jeunes élus de gauche somment leurs aînés de réinvestir les champs "sensibles", tels la banlieue et l'immigration.
Au lendemain du 21 avril 2002, une nouvelle génération politique s'est engagée pour réinventer le modèle républicain et faire barrage aux idées d'extrême droite.
Pourtant, deux exemples de l’actualité récente, la question des quartiers populaires et celles des révolutions arabes, révèlent que la gauche demeure incapable d'aborder dans la clarté, le courage et la vérité des sujets dits "sensibles". L’exploitation démagogique de ces thématiques par la droite populaire et la peur d’alimenter la montée du Front National explique cette stratégie d’évitement et laisse la gauche tétanisée.
A un an de l'élection présidentielle, au moment où les appareils politiques de gauche finalisent leurs projets et envisagent des accords de gouvernement, c'est le "ministère du silence" qui domine.
Le silence de la gauche dans l'affaire de la mort de Zyed et Bouna
Le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, deux adolescents, Zyed et Bouna, trouvaient tragiquement la mort après une course poursuite avec la police. Le 27 avril dernier, la Cour d'appel de Paris a rendu un non-lieu à l'égard des policiers, poursuivis pour "non-assistance à personne en danger". Cette absence de procès, tant attendu par les familles, laisse perdurer l'idée d'une justice à deux vitesses et empêche l'émergence d'une vérité judiciaire.
Le silence des partis de gauche face à ce déni de justice est choquant et manifeste l'incompréhension de ceux-ci face aux espoirs des enfants de la République en quête d'égalité et de respect.
L'analyse des émeutes de 2005, qui avaient embrasé les banlieues, n'a toujours pas permis à la gauche de régler son rapport aux quartiers populaires. Accusée d'avoir priviligié l’assistanat – "faire pour eux" –, la gauche éprouve des difficultés à imaginer des politiques de partenariats dans la durée – "faire avec eux" –, trop anxieuse d'être taxée de laxisme. Résidentialisation, vidéoprotection, polices municipales sont devenues les axes d'action en vogue de la gauche gestionnaire, négligeant la prévention. Alors que certaines collectivités de gauche ont mené des expériences innovantes, la question des discriminations, de l'école, et du vivre ensemble restent, à contrario, insuffisamment portées à l'échelle du débat public national.
La gauche, qui n'a pas gagné l'élection majeure depuis François Mitterrand, devrait oser se réapproprier ces questions pour inventer avec les citoyens une nouvelle politique d'égalité. Les partis de gauche doivent continuer à croire en la richesse de nos territoires, refuser l'existence de zones de non-droit et demeurer intransigeants quant à la présence et l'exemplarité de la puissance publique.
Les révolutions arabes restent incomprises
La gauche française a également tardé à comprendre les enjeux des révolutions arabes en cours. Le soutien aux forces d'opposition a trop souvent failli en raison de la conviction profonde que les systèmes policiers en place assureraient la stabilité, et protègeraient les intérêts européens face notamment à la menace islamiste. Une frange des altermondialistes a, quant à elle, trop souvent préféré s'associer aux fondamentalistes plutot qu'aux démocrates laïcs dans leurs combats pour les droits humains.
La gauche est inaudible sur la politique migratoire, en raison des positions floues de ses différents leaders et de l'instrumentalisation de la question de l'immigration par la droite et le Front National. L'instabilité due aux transitions démocratiques favorise l'arrivée de migrants en France et oblige à repenser la question des flux migratoires, et à mettre un terme au fantasme "d'Europe forteresse".
Ainsi, les migrants tunisiens venus avec des titres de séjour (visas Schengen) de Lampedusa à Paris via Parme, Marseille ou Nice, ont été surpris et choqués par leurs conditions d'accueil. Héros de la révolution du Jasmin pour certains, migrants économiques pour d'autres, ils ont été traités en clandestins sans droits. Les collectivités de gauche devraient se saisir de cette crise pour mettre en oeuvre une politique d'accueil respectueuse de la dignité des migrants, et servir de laboratoire d'idées et d'actions.
Le courage de dire la vérité
Militants loyaux, engagés dans la bataille de la prochaine présidentielle, nous pensons qu'une politique de gauche décomplexée implique le courage de chercher la vérité et de la dire. Nous demandons aux responsables de gauche de s’émanciper de la pression de la droite populaire et de l’extrême droite pour refonder le pacte républicain, et renouer avec sa tradition internationaliste.
Face au retournement du monde, seule l'affirmation de nos valeurs rendra possible la victoire de la gauche en 2012.
Ce texte est signé par de jeunes responsables de gauche
Meziane Abdelali, Conseiller régional Ile-de-France et Maire-adjoint de Clichy Sous Bois (EELV)
Nadège Abomangoli, Conseillère régionale Ile de France (PS)
Julien Boucher, Conseiller municipal du 17ème arrondissement de Paris (PS)
Mariam Cissé, Conseillère municipale, Clichy-sous-Bois (EELV)
Mahor Chiche, ancien Conseiller municipal du 19ème arrondissement de Paris (PS)
Benjamin Mathéaud, Conseiller municipal Alès (PS)
Ali Soumaré, Conseiller régional Ile de France (PS)
Judith Shan, Conseillère régionale Ile de France et Conseillère municipale de Boulogne Billancourt (PS)
Le Nouvel Observateur, 3 juin 2011
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