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traité européen

  • L'avenir de la démocratie : le référendum rationalisé

     

     

    Le candidat Nicolas Sarkozy a proposé d'avoir recours, lors de son éventuel prochain quinquennat, au référendum national sur "les grands arbitrages (…) chaque fois qu'il y aura un blocage".

    Cette idée de redonner la parole au peuple français par le référendum avait également été mise en avant en 2007 par la candidate socialiste Ségolène Royal marquant ainsi une rupture avec la méfiance de la gauche à l'égard de l'instrument référendaire. François Bayrou, candidat du Modem, avait quant à lui exigé l'organisation d'un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne.

    Accusé de dérives plébiscitaires, depuis les périodes napoléoniennes, le référendum national a eu du mal à acquérir en France sa légitimité dans le logiciel de la gauche ; tandis qu'à droite l'expérience gaullienne de 1969 et son échec à recueillir l'approbation populaire de la réforme du Sénat et la régionalisation a décrédibilisé cet instrument juridique de ratification.

    En 1995, le président Jacques Chirac promis d'élargir les possibilités d'un tel recours ; après son élection, la Constitution fut modifiée afin de permettre le recours au référendum sur des "orientations générales de la politique économique et sociale de la nation" et sur les "règles fondamentales de l'organisation et du fonctionnement des services publics". Le 24 septembre 2003, il fit adopter par ce biais la réforme du quinquennat. L'abstention atteint un seuil record de 70 % et le référendum retomba dans la désuétude. Ni la réforme scolaire, ni celle des retraites, ne furent mis à l'ordre du jour référendaire.

    L'aspiration citoyenne à une plus grande implication dans les processus décisionnels a redonné vie aux théoriciens de la démocratie participative. A l'échelle locale, de nombreux élus font d'ores et déjà appel aux votations citoyennes y compris dans le choix de projets de rénovations urbaines, de tracés d'avenues, ou encore sur le droit de vote des résidents extracommunautaires. Les succès des conseils de quartiers, conseils de la jeunesse, conseil des anciens, témoignent également de cette dynamique participative.

    Si, en France, le recours au référendum demeure exceptionnel, c'est avec le processus de construction européenne, que les Français ont renoué avec le référendum en 1972, 1992 et 2005. Hormis en 1972, la participation électorale fut excellente en avoisinant les 70 %.

    De contesté, le référendum national a retrouvé par son utilisation croissante sur les traités européens une large place dans les systèmes constitutionnels européens. Ainsi, en mai 2005, le président Jacques Chirac n'avait pas hésité à faire trancher le peuple français sur le projet de traité constitutionnel européen et faire inscrire le recours obligatoire au référendum pour tout nouvel élargissement de l'Union européenne. Cette disposition a depuis été supprimée.

    Le référendum s'est rationalisé. Comme l'ont démontré les consultations de 1993 et de 2005, malgré les tentatives d'amalgames, les Français ont répondu aux questions posées et non plus uniquement en fonction de l'auteur de la question. La multiplication des contrôles constitutionnels du champ du référendum ont également permis d'éviter le contournement des règles de l'Etat de droit et d'assurer la régularité des consultations et la protection des droits fondamentaux.

    Les délégations de souveraineté imposées par l'intégration européenne justifient le recours croissant à la légitimation populaire. En principe, seul le peuple souverain peut autoriser de tels transferts et revenir sur un premier refus. Après leurs "non" au traité de Maastricht par référendum, les Danois avaient été appelés à revoter. Or, en violation de la règle juridique du parallélisme des formes, le rejet du traité par 54,67 % des français n'a pas donné lieu à une nouvelle ratification référendaire mais à un Congrès ratifiant par voie parlementaire le traité de Lisbonne. La crainte d'un nouveau rejet populaire l'a ainsi emporté sur le principe de légitimation populaire du processus européen !

    Dans cette phase de la mondialisation, où les peuples ont l'impression que les responsables politiques n'ont plus de prise sur leurs destins et que l'idée même de démocratie est en danger par sa captation par "la finance" et des organisations internationales, faire du peuple l'arbitre ultime c'est redonner de la souveraineté aux Français.

    Comme il l'a fait en proposant l'introduction des jurés populaires dans les tribunaux, Nicolas Sarkozy renoue avec cette proposition de référendums avec une volonté farouche de contourner les corps intermédiaires. L'objectif affiché est d'intégrer les citoyens aux processus décisionnels, de faire œuvre de pédagogie, mais également de sortir du tout technocratique.

    La question de l'emploi, de l'éducation, du système de santé peuvent justifier des référendums, mais le premier référendum à organiser par le prochain président de la République devra être sur l'avenir de la construction européenne et sur une rénovation de nos institutions.

     

    Mahor Chiche est aussi l'auteur d'une thèse de droit sur "Le rôle des référendums nationaux dans la construction européenne".

     

    Article paru dans Le Monde en ligne le 1er mars 2012

     

     

  • Le Conseil d’État enterre enfin la jurisprudence Cohn-Bendit

    Vingt ans après la chute du mur, le Conseil d’État fête à sa manière cet anniversaire en abattant le dernier vestige d’un mur qui a longtemps solidement protégé le droit administratif français de l’ordre juridique communautaire : dans un arrêt de principe rendu le 30 octobre par l’Assemblée du contentieux, sa plus solennelle formation, la Haute juridiction administrative française a enfin abandonné sa jurisprudence Cohn-Bendit, vieille de 31 ans, qui refusait de donner un effet direct dans l’ordre interne aux directives communautaires. Dans son arrêt Perreux, elle reconnaît désormais qu’une directive, même s’il elle n’a pas été transposée dans le droit national, peut-être directement invoquée par un justiciable.

    Il faut savoir qu’il y a deux sortes de textes en droit communautaire, les règlements et les directives. Si les premiers sont directement applicables dans l’ordre juridique interne, les secondes laissent les États libres des moyens à employer pour parvenir au but commun : ils doivent donc prendre, dans un délai donné, des mesures de transpositions, en adoptant une loi ou un décret. En réalité, cette distinction est devenue largement artificielle, les directives étant de plus en plus précises au point de ne plus laisser beaucoup de marges aux législateurs nationaux. Une dérive voulue par les États qui craignent plus que tout que des divergences apparaissent lors de la transposition de la règle commune, ce qui risque de la rendre ineffective durant plusieurs années. En transformant les directives en quasi-règlement, il s’agit d’éviter de donner une prime à l’État de mauvaise foi.
    C’est d’ailleurs pourquoi, la Cour de justice européenne, dans un arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn (affaire 41/74) a donné un effet direct aux directives, transposées ou non : « il serait incompatible avec l’effet contraignant que l’article 189 (du traité) reconnaît à la directive d’exclure en principe que l’obligation qu’elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées ; que, particulièrement dans les cas où les autorités communautaires auraient, par directive, obligé les États membres à adopter un comportement déterminé, l’effet utile d’un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s’en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de la prendre en considération en tant qu’élément du droit communautaire ».

    Le Conseil d’État ne l’entendit pas de cette oreille. Imprégné d’une conception très souverainiste du DSC02089 droit, ce qui est presque normal pour un juge chargé d’appliquer un droit administratif qui est l’expression la plus brutale de la souveraineté de l’État et de trancher les litiges qui opposent les citoyens à l’État, il a longtemps estimé qu’une norme internationale ne pouvait l’emporter sur une norme nationale qu’à condition que cette dernière l’autorise. Dans un arrêt de principe de son Assemblée du contentieux du 22 décembre 1978, le Conseil d’État a donc logiquement jugé qu’un justiciable ne peut invoquer directement une directive pour contester une décision administrative, même si l’État n’a pas respecté son obligation de transposition : « Il ressort clairement de l'article 189 du traité du 25 mars 1957 que si ces directives lient les États membres "quant au résultat à atteindre" et si, pour atteindre le résultat qu'elles définissent, les autorités nationales sont tenues d'adapter la législation et la réglementation des États membres aux directives qui leur sont destinées, ces autorités restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution des directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire effet en droit interne. Ainsi, quelles que soient d'ailleurs les précisions qu'elles contiennent à l'intention des États membres, les directives ne sauraient être invoquées par les ressortissants de ces États à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel ».

    Autrement dit, le juge administratif a refusé de se faire juge de l’État qui n’a pas respecté un ordre international auquel il a pourtant souscrit. En l’occurrence, Daniel Cohn-Bendit, de nationalité allemande, n’a pas eu à souffrir de cette décision : alors qu’il cherchait à obtenir l’annulation de l’arrêté d’expulsion qui le frappait depuis 1968 et l’empêchait de revenir en France, en violation manifeste d’une directive de 1964, le ministre de l’Intérieur l’a abrogé de lui-même le 20 décembre 1978, deux jours avant cet arrêt de principe…

    DSC03269 Trente et un ans plus tard, c’est un complet revirement de jurisprudence qu’effectue le Conseil d’État dans son arrêt Perreux puisqu’il estime que « la transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l’article 88-1 de la Constitution, le caractère d’une obligation constitutionnelle ». Pour le juge administratif, l’obligation de respecter une directive résulte donc de deux sources, l’une conventionnelle (le traité), l’autre constitutionnelle, cette seconde étant même secondaire, si les mots « en outre » ont un sens. On peut même inférer de l’emploi de cette expression que la Haute juridiction est prête à tirer l’ultime conséquence de l’ordre communautaire qui s’impose aux États : l’abandon du passage obligé par la Constitution afin de bien marquer que celui-ci n’a de valeur que parce que la norme interne lui en donne. Ce qui est, en réalité, une pure vue de l’esprit destinée à rassurer ceux qui restent attachés à la vieille conception française de la hiérarchie des normes plaçant la Constitution en haut de la pyramide normative.

    Le Conseil d’État juge donc que, « pour chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de l’application du droit communautaire, de garantir l’effectivité des droits que toute personne tien de cette obligation à l’égard des autorités publiques ». Autrement dit, « tout justiciable peut en conséquence demander l’annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir (…) qu’après l’expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. En outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’État n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ». Il faut cependant bien noter que l’applicabilité directe d’une directive reste limitée, comme le prévoit d’ailleurs la Cour de justice européenne, aux « dispositions précises et inconditionnelles ».

    À vrai dire, cette décision était largement attendue par les juristes : c’était, en effet, le dernier pan de mur du souverainisme de la justice administrative française. Le Conseil d’État a entamé sa longue marche vers le droit communautaire en 1989, avec l’arrêt Nicolo, qui a reconnu la supériorité des directives européennes sur les lois même plus récentes. Elle l’a quasiment achevé en février 2007, avec l’arrêt Arcelor, qui admet la supériorité du droit communautaire, y compris sur la Constitution. Mais, même dans le domaine de l’effet direct des directives, la justice administrative avait déjà apporté de nombreux tempéraments à la jurisprudence Cohn-Bendit. Simplement, le Conseil d’État refusait encore que les directives produisent « un effet de substitution quand il est en présence d’un acte administratif individuel », comme le notent Sophie Robin-Olivier et Jean-Sylvestre Bergé dans leur « Introduction au droit européen » (Thémis, p 373). Désormais, un justifiable pourra invoquer une directive dès lors qu’il estime qu’une décision administrative qui lui fait grief lui est contraire, même si elle n’a pas été transcrite.


    Jean QUATREMER

    N.B.

    Il m’avait échappé que le « commissaire du gouvernement » avait enfin perdu son nom. Depuis janvier 2009, il se nomme « rapporteur public », ce qui est infiniment plus clair puisque ce magistrat est totalement indépendant et donne un point de vue juridique sur l’affaire. Dans l’affaire Perreux, c’est encore une fois l’excellent Mathias Guyomar qui était « rapporteur public », comme dans l’arrêt Arcelor.