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institutions

  • Gilles Bernheim démissionne : légalement et moralement, sa position était intenable

    LE PLUS. Le Grand rabbin de France a annoncé ce jeudi 11 avril sa "mise en congé" avec effet immédiat. Il avait déjà reconnu être l'auteur de plagiats et avoir menti sur son agrégation de philosophie, mais avait jusqu'alors exclu de démissionner. Mais avait-il seulement le choix ? Explications avec l'avocat Mahor Chiche.

    Le Grand rabbin de France a annoncé sa démission le 11 avril 2013 - ici, Gilles Bernheim au palais de l'Élysée le 12 juillet 2012 (F.MORI/SIPA).

    Le Grand rabbin de France a annoncé sa démission le 11 avril 2013 - ici, au palais de l'Élysée le 12 juillet 2012  (F.MORI/SIPA).

    Depuis début avril, la question des plagiats du grand Rabbin de France Gilles Bernheim et son usurpation du titre d’agrégé de philosophie a défrayé la chronique. Après les preuves rapportées de sa forfaiture et ses aveux, Gilles Bernheim a enfin décidé de démissionner ce 11 avril 2013.

    Le droit d’auteur protège du plagiat

    Ces dernières années, plusieurs affaires de plagiats ont été révélées au public. Annette Schavan, la ministre de l'Éducation allemande, a démissionné pour avoir fait nombreux de emprunts dans sa thèse de philosophie.

    L’ancienne secrétaire d'État Rama Yade a publié un "Plaidoyer pour une instruction publique" comprenant des passages recopiés sans guillemets du philosophe Jean-Michel Muglioni. L'édition de la biographie d'Hemingway de Patrick Poivre d’Arvor a dû être rectifiée, avant publication, suite à la découverte d’une centaine de pages directement inspirées de la biographie écrite par l’auteur américain Peter Griffin. Des emprunts et des plagiats qui sont, en droit de la propriété intellectuelle, assimilés à du vol.

    En droit français, l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :

    "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur."

    Et l’article L122-4 dispose que :

    "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque."

    Le "copier-coller" facilité par les traitements de texte modernes, l’absence d’apposition de guillemets, la citation sans référence sont autant de facettes du plagiat. Un oubli de citation d’auteur est toujours possible et pardonnable, mais la multiplication d’actes de plagiats rend son auteur indigne de la charge occupée.

    L’usurpation de titres est un délit

    L’article 433-17 du Code pénal sanctionne également "l'usage, sans droit, d'un titre attaché à une profession réglementée par l'autorité publique ou d'un diplôme officiel ou d'une qualité dont les conditions d'attribution sont fixées par l'autorité publique est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende".

    Gilles Bernheim a reconnu publiquement avoir commis ces deux violations. Il devait en tirer la conclusion logique : se démettre de ses fonctions. À défaut, les instances communautaires auraient pu le licencier pour fautes graves (un conseil extraordinaire du Consistoire était prévu à cet effet ce jeudi 11 avril).

    Une défense chaotique

    Le 22 juin 2008, Gilles Bernheim avait été élu Grand rabbin de France par 184 voix, contre 99 à son prédécesseur Joseph Sitruck (qui voulait rester en poste). Brillant intellectuellement, modéré dans ses propos, ouvert sur les autres cultures, il a réalisé un bon début de mandat et tenté de moderniser l’institution en ouvrant des débats, comme celui autour du divorce et de la place des femmes dans le judaïsme. Sans nul doute, sa plus difficile mission aura été de consoler les familles de victimes des massacres de Toulouse et de réconforter une communauté juive blessée.

    Ce bilan ne saurait cependant prévaloir sur la gravité des manquements commis et admis. Si, en droit talmudique, la preuve par l’aveu ne fait pas foi, à l’ère de l’hypertransparence, la confession-contrition vaut preuve.

    Après une défense chaotique, commençant par une négation totale du plagiat, accusant dans un second temps de plagiat son plagié, le Rabbin a finalement admis "une terrible erreur" due à un étudiant :

    "C'est la seule et unique fois que je me suis livré à un tel arrangement. [...] J'ai été trompé. Pour autant, je suis responsable."

    Ce 9 avril, il a reconnu enfin sa faute morale, tant pour les plagiats que pour l'usurpation du titre d'agrégation de philosophie jamais obtenue.

    Les plagiats incriminés concernaient les ouvrages "Quarante méditations juives" (éd. Stock, 2011) avec les propos tenus il y a 17 ans par Jean-François Lyotard, interrogé par Elisabeth Weber dans "Questions au judaïsme" (éd. Desclée de Brouwer, 1996), "Le souci des autres au fondement de la loi juive" (2002), et son essai "Mariage homosexuel, homoparentalité, et adoption : ce que l'on oublie souvent de dire".

    Le statut de Grand rabbin de France éclaboussé

    Nul ne peut douter des qualités intellectuelles de Gilles Bernheim, mais il a failli à l’éthique attendue d’un guide spirituel. Surtout, il a dérogé aux principes déontologiques-scientifiques de base du chercheur, à savoir citer ses sources et inscrire son analyse dans l’histoire de ses prédécesseurs.

    Des oublis ponctuels peuvent être compris, mais le nombre d’ouvrages en cause et l’usurpation du titre d’agrégé discréditent l’homme et la fonction. Pendant des années, il a menti – a minima – par omission (en laissant accréditer l’idée qu’il disposait d’un titre d’agrégé) et "bénéficié d’une gloire indue" en s'appuyant sur l'œuvre d'autres auteurs.

    Le choc au sein de la communauté juive et nationale est puissant. Divisés sur les perspectives d’avenir de la communauté juive de France et les moyens de combattre l’antisémitisme, traumatisés par le massacre de Toulouse, les juifs de France subissent aujourd’hui l’opprobre de voir leur Rabbin pris dans la tourmente.

    De surcroît, le timing de la reconnaissance des fautes a sans douté été mal choisi ; en pleine crise morale de l’affaire Cahuzac, une telle sortie ne pouvait être considérée que comme un scandale de plus de nos élites.

    La nécessaire rénovation

    La rénovation des institutions communautaires passe par le départ de Gilles Bernheim. Mais cette démission ne suffit pas : il faut réformer l’institution.

    En 1808, l'empereur Napoléon Ier convoqua une assemblée pour accorder "l’émancipation aux juifs de France" et désigna David Sintzheim ministre du Culte et responsable des autres officiants de la communauté juive de France. De cette époque date la création du Consistoire central et le rôle de Grand rabbin de France.

    Le Grand rabbin de France est le référent du dogme pour de nombreux fidèles de confession juive. Mais, au-delà, il incarne le judaïsme français, puisqu’il prend des positions publiques sur des sujets essentiels comme la laïcité, l’avortement, le mariage et l’adoption, les règles alimentaires (cacherout), le racisme et l’antisémitisme, le conflit israélo-palestinien, le dialogue avec les autres chefs religieux et le président de la République.

    Depuis 1980, le grand Rabbin n’est plus élu que pour sept ans. À l’évidence, le mandat de Grand rabbin de France est aujourd’hui trop long, le prédécesseur de Gilles Bernheim, Joseph Sitruck, a accompli trois mandats : il est resté Grand rabbin de France de juin 1987 au 1er janvier 2009 – plus de 20 ans, même entrecoupés d’élections, pour un tel poste, c’est bien trop long.

    Une opportunité pour se moderniser

    Sur les réseaux sociaux, les débats sont vifs et se partagent entre indifférence, soutiens inconditionnels au Rabbin de France, et partisans de sa démission ou de son licenciement. Le mandat actuel de Gilles Bernheim devait se terminer en 2015 ; sa démission permet à l’institution de saisir l’opportunité de cette crise pour se moderniser.

    En démissionnant, le pape Benoît XVI a montré qu’il n’y a rien d’infamant pour un maître spirituel à abandonner sa charge. En Israël, des Rabbins (auteurs par exemple de chantage au gueth) démissionnent ou sont "licenciés". La démission est, au regard de la faute morale commise, non pas un "acte d’orgueil" comme l'a prétendu Gilles Bernheim mais un acte de sagesse et d’apaisement.

    Le temps de l'exemplarité est venu. Au XXIe siècle, il faut oser demander les réformes permettant l’adéquation entre les valeurs proclamées et les actes. Les institutions et les hommes sont faillibles, mais le peuple a le droit d'être exigeant avec ses leaders. Il est l’arbitre ultime. De nouvelles élections doivent par conséquent être organisées permettant de redonner le choix aux électeurs.

    Le nègre littéraire, écrivain fantôme, doit devenir apparent

    Cette affaire devrait enfin interroger sur le rôle du nègre auquel de nombreux élus, sportifs, écrivains font appel en faisant croire au public qu’ils sont les auteurs des livres publiés.

    À mon sens, il n'y aurait rien de choquant à éclairer le public en rendant transparent l’auteur réel de l’ouvrage. Cette pratique semble d’ailleurs commencer à être admise. De notoriété publique, Christine Albanel a été la plume de Jacques Chirac et Dan Franck a écrit "Avec Zinedine Zidane : journal d’une victoire" (Robert-Laffont - Plon, 2000).

    À l’ère de l’hypertransparence, les lecteurs apprécieraient cette honnêteté intellectuelle sans devoir en tenir rigueur à la personnalité qui userait d’un tel recours. Le nègre littéraire, écrivain fantôme, doit devenir apparent.

     

    *Publié sur le Site du Nouvel Observateur, Le Plus, jeudi 11 avril 2013

  • L'avenir de la démocratie : le référendum rationalisé

     

     

    Le candidat Nicolas Sarkozy a proposé d'avoir recours, lors de son éventuel prochain quinquennat, au référendum national sur "les grands arbitrages (…) chaque fois qu'il y aura un blocage".

    Cette idée de redonner la parole au peuple français par le référendum avait également été mise en avant en 2007 par la candidate socialiste Ségolène Royal marquant ainsi une rupture avec la méfiance de la gauche à l'égard de l'instrument référendaire. François Bayrou, candidat du Modem, avait quant à lui exigé l'organisation d'un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne.

    Accusé de dérives plébiscitaires, depuis les périodes napoléoniennes, le référendum national a eu du mal à acquérir en France sa légitimité dans le logiciel de la gauche ; tandis qu'à droite l'expérience gaullienne de 1969 et son échec à recueillir l'approbation populaire de la réforme du Sénat et la régionalisation a décrédibilisé cet instrument juridique de ratification.

    En 1995, le président Jacques Chirac promis d'élargir les possibilités d'un tel recours ; après son élection, la Constitution fut modifiée afin de permettre le recours au référendum sur des "orientations générales de la politique économique et sociale de la nation" et sur les "règles fondamentales de l'organisation et du fonctionnement des services publics". Le 24 septembre 2003, il fit adopter par ce biais la réforme du quinquennat. L'abstention atteint un seuil record de 70 % et le référendum retomba dans la désuétude. Ni la réforme scolaire, ni celle des retraites, ne furent mis à l'ordre du jour référendaire.

    L'aspiration citoyenne à une plus grande implication dans les processus décisionnels a redonné vie aux théoriciens de la démocratie participative. A l'échelle locale, de nombreux élus font d'ores et déjà appel aux votations citoyennes y compris dans le choix de projets de rénovations urbaines, de tracés d'avenues, ou encore sur le droit de vote des résidents extracommunautaires. Les succès des conseils de quartiers, conseils de la jeunesse, conseil des anciens, témoignent également de cette dynamique participative.

    Si, en France, le recours au référendum demeure exceptionnel, c'est avec le processus de construction européenne, que les Français ont renoué avec le référendum en 1972, 1992 et 2005. Hormis en 1972, la participation électorale fut excellente en avoisinant les 70 %.

    De contesté, le référendum national a retrouvé par son utilisation croissante sur les traités européens une large place dans les systèmes constitutionnels européens. Ainsi, en mai 2005, le président Jacques Chirac n'avait pas hésité à faire trancher le peuple français sur le projet de traité constitutionnel européen et faire inscrire le recours obligatoire au référendum pour tout nouvel élargissement de l'Union européenne. Cette disposition a depuis été supprimée.

    Le référendum s'est rationalisé. Comme l'ont démontré les consultations de 1993 et de 2005, malgré les tentatives d'amalgames, les Français ont répondu aux questions posées et non plus uniquement en fonction de l'auteur de la question. La multiplication des contrôles constitutionnels du champ du référendum ont également permis d'éviter le contournement des règles de l'Etat de droit et d'assurer la régularité des consultations et la protection des droits fondamentaux.

    Les délégations de souveraineté imposées par l'intégration européenne justifient le recours croissant à la légitimation populaire. En principe, seul le peuple souverain peut autoriser de tels transferts et revenir sur un premier refus. Après leurs "non" au traité de Maastricht par référendum, les Danois avaient été appelés à revoter. Or, en violation de la règle juridique du parallélisme des formes, le rejet du traité par 54,67 % des français n'a pas donné lieu à une nouvelle ratification référendaire mais à un Congrès ratifiant par voie parlementaire le traité de Lisbonne. La crainte d'un nouveau rejet populaire l'a ainsi emporté sur le principe de légitimation populaire du processus européen !

    Dans cette phase de la mondialisation, où les peuples ont l'impression que les responsables politiques n'ont plus de prise sur leurs destins et que l'idée même de démocratie est en danger par sa captation par "la finance" et des organisations internationales, faire du peuple l'arbitre ultime c'est redonner de la souveraineté aux Français.

    Comme il l'a fait en proposant l'introduction des jurés populaires dans les tribunaux, Nicolas Sarkozy renoue avec cette proposition de référendums avec une volonté farouche de contourner les corps intermédiaires. L'objectif affiché est d'intégrer les citoyens aux processus décisionnels, de faire œuvre de pédagogie, mais également de sortir du tout technocratique.

    La question de l'emploi, de l'éducation, du système de santé peuvent justifier des référendums, mais le premier référendum à organiser par le prochain président de la République devra être sur l'avenir de la construction européenne et sur une rénovation de nos institutions.

     

    Mahor Chiche est aussi l'auteur d'une thèse de droit sur "Le rôle des référendums nationaux dans la construction européenne".

     

    Article paru dans Le Monde en ligne le 1er mars 2012